(4/04/2011)
En début de soirée, alors que des centaines de manifestants observaient un sit-in devant le bâtiment du ministère de l’Intérieur exigeant le départ du président provisoire Foued Mebazaa et du Premier ministre Béji Caïd Essebsi, les agents de la police antiémeute, communément appelés les « BOB » et de la Garde nationale ont sonné la charge. Gaz lacrymogènes, passage à tabac et interpellations des manifestants. Une grosse panique s’est emparée des habitués et hôtes de l’avenue Habib Bourguiba qui s’est vidée en deux temps trois mouvements. Les jeunes manifestants se sont réfugiés dans les rues et boulevards adjacents et ont dressé des barricades, rue de Marseille, avenue de Paris, avenue de Palestine. Ils ne tiendront pas longtemps sous la charge violente des agents, dont le gros des contingents de policiers en tenue civile, cagoulés, roulant à moto ou chevauchant les blindés de la Garde nationale.
Poursuivis à l’intérieur des quartiers populaires, nombre de manifestants ont violemment été pris à partie par les « milices » du ministère de l’Intérieur, armées de gourdins et autres barres de fer. Le communiqué du ministère de l’Intérieur parle d’une opération de « maintien de l’ordre » et justifie le recours à la force par le fait que les manifestants ont été les premiers à user de la violence contre les services de police. C’est la deuxième fois en moins d’une semaine que le gouvernement provisoire a recours à l’usage de la répression. Début de la semaine dernière, les policiers ont eu à disperser violemment un rassemblement à la Casbah.
Durant la même journée de vendredi, plusieurs manifestations et marches ont eu lieu. Pendant que les jeunes militants du PCOT (Parti communiste ouvrier), de Nahda et du mouvement des Patriotes démocrates, etc., étaient contenus au niveau de Bab Jedid par les forces de police les empêchant d’atteindre le palais du gouvernement situé à la Casbah, l’avenue Bourguiba était, elle, le théâtre d’une démonstration de force des salafistes de la nébuleuse Al Tahrir. A l’heure de la prière du vendredi, plusieurs centaines de militants et sympathisants d’Al Tahrir (interdit) ont fermé une aile de l’avenue et organisé une prière publique suivie d’une procession imposante. Aujourd’hui, à midi, la police est de nouveau intervenue pour chasser du Théâtre communal, les manifestants de la Casbah I, II, et III, abréviation désignant des types d’alliances politiques. Lors d’une interview accordée mardi à trois chaînes TV tunisiennes, le Premier ministre, Caïd Essebsi, annonçait déjà la couleur et un nouveau cycle de répression. Dans son speech télévisé, décrié par les partis de l’opposition, le Premier ministre a insisté sur l’impérieuse nécessité de « restaurer l’autorité de l’Etat ».
Révolution Acte II
« C’est un mauvais signe », commente Moncef Marzouki, président du Congrès pour la République. « L’agressivité et l’extrême brutalité des forces du désordre, dit-il, portent la signature des hommes de Ben Ali. » Essebsi, un « adepte de la méthode et de la pensée « bourguibienne » serait, d’après Marzouki, en train de régler ses comptes avec le « benalisme » par révolution interposée. Si « le gouvernement s’entête à mener seul la barque de la transition démocratique, à user de provocation et de répression disproportionnées, la Tunisie n’est pas à l’abri d’un Acte II de la révolution ». Même son de cloche chez Chokri Belaïd du Mouvement des patriotes démocrates pour qui le retour aux affaires de Habib Essid n’augure rien de bien réjouissant et hypothèque sérieusement la prochaine élection de l’Assemblée constituante. « La nomination d’Essid signe le retour en force de la police politique et des méthodes musclées », souligne-t-il.
Le Conseil de la sauvegarde de la révolution et le « Front du 14 janvier » qui regroupent une pléthore de formations politiques de l’opposition sont en conclave depuis vendredi pour étudier les voies et moyens de riposter à l’offensive du gouvernement Essebsi, a déclaré Nizar Ammami, syndicaliste PTT et porte-parole de la Ligue de la gauche ouvrière. Dans un communiqué rendu public, le conseil en question a dénoncé la répression aveugle et les velléités de « confiscation » de la révolution tunisienne. Le 27 février dernier, et suite à des manifestations monstres qui ont duré plusieurs jours à la Casbah et encadrées par le « Front du 14 janvier », Mohamed Ghannouchi a été contraint de démissionner. En sera-t-il de même pour l’actuel Premier ministre qui n’a que 22 jours à la tête du gouvernement ?
Mohand Aziri