Un non positif
Trois raisons essentielles justifient un rejet du traité constitutionnel. La première tient au statut du texte, la seconde à son contenu, la troisième au fait qu¹il peut exister une voie pour construire une autre Europe.
Sur les 448 articles du texte, 322 définissent les politiques à mettre en oeuvre en matière économique, monétaire, sociale, fiscale, environnementale,
en matière de justice, sécurité, recherche, etc.
Que viennent faire dans une Constitution ces préconisations qui ne devraient relever que du choix démocratique ultérieur à l¹adoption de règles de fonctionnement des
institutions ? Ses propagandistes répondent que ce projet ne fait que reprendre les traités antérieurs déjà appliqués et qu¹on n¹est donc pas fondé à s¹y opposer. Mais depuis quand ne pourrait-on refuser que soit pérennisées des politiques néfastes ? Sans parler de la quasi irréversibilité imposée par la règle de la modification à l¹unanimité d¹un
tel texte ou tout simplement par celle de l¹unanimité requise pour adopter des dispositions fiscales (I-54-3, III-171) ou celles favorables à la protection de l¹environnement (III-234-2).
Est-il vrai, comme le disent ses partisans, que cette Constitution est apolitique lorsqu¹elle met sur le même plan « l¹espace de liberté de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où
la concurrence est libre et non faussée » (I-3-2) ou bien « la libre circulation des personnes, des services des marchandises et des capitaux » (I-4-1) ? La réponse est donnée dans la troisième partie : l¹action politique doit être « conduite conformément au respect du principe d¹une
économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (III-177, III-178).
Pour en donner quelques exemples, « les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu¹aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres
et les pays tiers sont interdites » (III-156). Est exclue ainsi toute lutte contre la spéculation par une taxe sur les transactions financières. Les paradis fiscaux d¹Europe sont mis hors d¹atteinte (IV-440-6). Les critères
de Maastricht et le Pacte de stabilité sont prorogés en interdisant à la Banque centrale d¹accorder un découvert à toute institution. La politique monétaire échappe à tout contrôle démocratique (I-30, III-181, III-185,
III-188) et la politique budgétaire doit obéir aux principes d¹austérité imposés par le libéralisme (I-53, I-54, III-171, III-184).
La portée de la Charte des droits fondamentaux insérée dans la seconde partie est annihilée par le contenu de la troisième. Le droit du travail et le droit au travail sont remplacés par le « droit de travailler » et la «
liberté de chercher un emploi » (II-75). Les droits sociaux fondamentaux et l¹emploi sont subordonnés à la « nécessité de maintenir la compétitivité de l¹économie de l¹Union » (III-204, III-209) et la main d¹¦œuvre doit « s¹adapter » à l¹évolution de l¹économie (III-203). Toute harmonisation des
rémunérations, du droit d¹association, du droit de grève est impossible (III-210-6). Le droit de grève est reconnu aux salariés et aussi aux employeurs (II-88) ! En accord avec ce texte (I-4-1, III-137, III-144), la directive Bolkestein permet à un prestataire de services de s¹établir dans
un pays avec une législation sociale faible, puis d¹aller faire travailler
ses salariés sous le régime de celle-ci. Une autre directive sur le temps de travail prévoit de porter la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 à 65 heures et d¹exclure du temps de travail le temps de garde inactive.
Les services publics sont absents de la Constitution. Ne subsiste qu¹une référence à « des services d¹intérêt général » (II-96, III-122) qui, de toute façon, ne doivent pas « fausser le jeu de la concurrence » (III-161-1)
et ne peuvent bénéficier d¹aides de l¹Etat (III-166). Avec un tel texte,l¹Accord général sur le commerce des services négocié au sein de l¹Organisation mondiale du commerce qui vise à libéraliser « l¹éducation, la santé et les services liés à l¹environnement » selon le Rapport 2004 de la
Banque mondiale, est avalisé.
La démocratie reprendrait-elle ses droits au sein du Parlement européen ?
Seule la Commission a l¹initiative des lois (I-26-2). Et un million de citoyens ne peuvent prendre l¹initiative que « d¹inviter » la Commission à faire une proposition « nécessaire à l¹application de la Constitution » (I-47-4).
Enfin, le chantage à la catastrophe si le non l¹emportait est révoltant pour deux raisons. Primo, pourquoi soumettre à référendum une question si l¹une des réponses est a priori frappée d¹illégitimité ? Secundo, il est possible
d¹envisager une autre voie pour construire une Europe démocratique,solidaire et écologique. Cela exige de restreindre la liberté de circuler pour des capitaux d¹autant plus rentables que le chômage grossit, de
promouvoir un droit du travail harmonisant par le haut les protections sociales, d¹instaurer un salaire minimum dans tous les pays, de subordonner le marché à des normes sociales et écologiques, de renforcer de véritables
services publics, de garantir à tous l¹accès au logement, à l¹emploi et à la retraite.
La seule attitude positive laissant la porte ouverte vers l¹avenir est donc de répondre non à ce pensum libéral.
Jean-Marie Harribey
Sud-Ouest, 18 avril 2005