« Mouton noir chiraquien »

vendredi 15 avril 2005, par ATTAC Pays d’Arles

Ekphrasis du « Mouton noir chiraquien »

« L’ekphrasis, construit sur *phrasos : faire comprendre, expliquer, et *ek : jusqu’au bout, est une mise en phrases qui épuise son objet, et désigne terminologiquement les descriptions minutieuses et complètes [...] [L’ekphrasis est ce] discours affranchi du vrai et du faux qui au lieu de dire ce qu’il voit fait voir ce qu’il dit. » Barbara Cassin, Vocabulaire européen des philosophes, Seuil, Le Robert.

Selon Théon d’Alexandrie l’ekphrasis est un discours qui met sous les yeux, avec évidence, ce qui doit être montré, en faisant le tour de l’objet de la description.

Délaissons l’abracadabrantesque pschitt et revenons au « Mouton noir chiraquien » pour en faire le tour !
Bébés Karakul sauvés par l’OMC

Il ne faut pas se le cacher : depuis les Mérovingiens, les béliers karakul d’origine « Francs saliens » sont noirs. On l’oublie trop souvent ! Ils se sont acclimatés facilement un peu partout, sauf en Chine. En dehors de France où ils sont légions, on a retrouvé leurs squelettes dans des pays aussi divers que la Russie ou même le Japon où ils furent longtemps une manière d’attraction pour les monarques de passage. La laine de cette bête donne l’astrakan qui fait l’objet d’un important commerce international. Il est devenu aujourd’hui bien pénible de voir sacrifier, pour le confort des humains, les bébés karakuls au si doux pelage noir. Heureusement, sous l’amicale pression de l’OMC et, il faut le rappeler, pour satisfaire à une demande toujours plus pressante, l’industrie textile chinoise s’est mise à fabriquer des tissus imitant parfaitement la fourrure de ces sympathiques animaux et à en inonder nos marchés. Afin de rétablir un équilibre largement compromis, le président de la République française a annoncé, le 14 avril dernier à l’Elysée, en plein jeûne - c’est si rare ! - qu’il allait faire jouer les clauses de sauvegarde des traités commerciaux pour calmer l’ardeur mercantile de l’Empire du Milieu. Indiscrétions : l’opération serait baptisée « Mouton noir » et lancée le 29 mai, à 20 h précises.

Engloutissement de Francoy Batave dit le Hollandais

Les moutons, c’est bien connu, suivent aveuglément le vieux bélier qui entraîne le troupeau. Cette disposition singulière a été mise en lumière au XVIe siècle par Rabelais dans son livre Pantagruel. Le compagnon de Pantagruel, Panurge dit le Sarko, partant mollement pour l’Union des Lanternes, s’est embarqué sur un bateau où avait pris place Francoy Batave dit le Hollandais, marchand de moutons qui emmène un troupeau avec lui. Panurge dit le Sarko, obtient pour un prix élevé l’une des bêtes, la saisit et la jette à la mer. Tous les moutons suivent et se précipitent dans les flots. Déséquilibré, puis culbuté, Francoy Batave dit le Hollandais est englouti avec eux. L’affaire eut lieu, dit-on, un 29 mai vers 18 h. Depuis cette époque l’expression « les moutons de Panurge » désigne les gens qui suivent les autres sans réfléchir.

Le Cameleonus chiracensis bouffé par l’Albatrosus melanus

Comme chacun sait : le Cameleonus chiracensis est un reptile saurien du groupe des lézards, appartenant aux genres Chamaélo et Brookesia, de la famille des Chamaeléonidés. Au temps de la marine à voile, le Cameleonus chiracensis, variété courante, particulièrement vorace, mais aujourd’hui en voie de disparition, était le compagnon des marins au cours de leurs longues et monotones traversées. Il accompagnait les navires, au départ de Bruxelles, port alors bien connu, aujourd’hui ensablé comme son actuel roitelet portugais... d’ailleurs ! Le Cameleonus chiracensis n’hésitait pas à se déplacer sur le pont des navires pour venir chercher sa nourriture. Il devenait vite familier et les marins aimaient jouer avec lui. Cette année-là, le 29 mai vers 18 h, le Cameleonus chiracensis fut, pour la première fois de sa déjà longue carrière, victime d’un grand albatros noir - l’Albatrosus melanus - qui impressionna les marins par sa couleur si rare et son envergure, plus de 3,40 m. Les marins du RIF (Registre international français), espèce de pavillon de complaisance, lui donnèrent le nom de « Mouton noir ». C’est le plus grand de tous les oiseaux de mer.

Alain Lecourieux

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