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Syndicat de la magistrature - LdH - Convivencia

A quoi servent les lois sécuritaires ?

Un développement très, très inquiétant

vendredi 15 juillet 2005, par Forum Civique Européen

De nombreuses affaires juridiques en cours dans la région (comme celle des 3 musiciens de Gérard & les Stars) interpellent les citoyens que nous sommes : Quelle justice aujourd’hui ? Rôles pour la police ?... Et les Droits de l’Homme ? Evelyne SIRE MARIN, juge d’instruction en poste, ancienne présidente du syndicat de la magistrature, membre de la Ligue des Droits de l’Homme s’est livrée au jeu des questions-réponses dans le cadre d’une rencontre organisée par Attention Culture le 13 juillet 2005 au Jardin d’été en Arles. JournArles publie l’intervention de Mme Sire Marin à télécharger sur ce site.

L es textes sécuritaires votés depuis deux ans à l’initiative du gouvernement n’ont paradoxalement pas pour objet de réduire la délinquance, pas plus que la loi contre les discriminations n’aura pour effet de réduire le nombre de foulards islamiques dans les écoles.
Ces lois stigmatisent au contraire des populations cibles, en les excluant socialement, comme si l’objectif était de les dresser contre la République. On aura ainsi obtenu la démonstration recherchée, selon laquelle il est décidément impossible d’intégrer dans la société française les femmes musulmanes et les jeunes des banlieues, appartenant d’ailleurs aux mêmes réserves de ces nouveaux indiens, les "arabomusulmans".

Tout ce passe comme si, au contraire, ces lois d’exclusion devaient maintenir la pression de la peur sur les électeurs, entretenir leur effroi pour les refuznik de la République, en attendant les barbares des banlieues au journal télévisé du soir.

Le but des lois sécuritaires est d’utiliser politiquement la délinquance de rue comme trompe-l’oeil idéologique, de masquer le démantèlement de l’état social, tel qu’il résultait du programme de 1945 du Conseil National de la Résistance.

Mais l’actuel gouvernement risque d’être lui-même victime de ce jeu de leurre de l’opinion publique ; car il est en train de réaliser en partie le programme du Front National (187 pages, 300 propositions), sans pour autant être certain de capter l’électorat d’extrême droite.

Séduire l’électorat d’extrême-droite

Il apparaît que sur les 24 propositions du F.N., en matière de "justice et police", 11 d’entre elles ont déjà été réalisées par D. Perben et N.Sarkozy. L’arrivée de D. de Villepin au ministère de l’intérieur ne remet pas en cause ce funeste bilan, même si le style du nouveau ministre est différent de celui du précédent :

suite de cet article écrit en avril 2004

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A LIRE


L’industrie de la punition

Nils Christie, auteur

A l’heure du tout sécuritaire et des " centres fermés ", alors que la population carcérale atteint en France un niveau sans précédent (elle est passée de 47000 en février 2001 à près de 61000 en juillet 2003), le livre de Nils Christie constitue un antidote plus qu’utile, qui permet de poser mieux les problèmes liés à " la délinquance " et à la " criminalité ", et de mesurer la gravité de ce qu’on nomme couramment une " dérive sécuritaire ", et qui est peut-être un changement de civilisation.

Le point de départ de Christie est ce postulat sociologique : la réalité sociale n’est pas un donné brut, mais une construction. Traduction : " la délinquance " et " le crime " ne sont pas des données objectives invariantes ; leur définition varie considérablement, suivant les lieux et les époques, en fonction de ce qu’une société choisit de criminaliser ou de ne pas criminaliser. Le chiffre de la population carcérale nous en apprend donc davantage sur la politique pénale d’un État que sur la réalité sociale du pays : la population carcérale était par exemple quatre fois plus élevée dans la Russie soviétique de 1950 que dans la Russie de 1989. Et aujourd’hui, le taux d’incarcération est plus de cinq fois plus élevé aux États Unis que dans le pays voisin, le Canada.

Cela dit, tout autant que ces écarts, ce sont les ressemblances qui donnent à réfléchir. Christie souligne en effet qu’un mouvement général a été amorcé, à partir de la fin des années 1970, dans le sens d’un durcissement et d’un renforcement du traitement pénal des problèmes sociaux, au détriment du traitement social. Ce mouvement s’est traduit, aux Etats-Unis, pays " pionnier " en la matière, par le quintuplement en dix ans de la population carcérale, et c’est ce même mouvement qui s’accélère en France depuis septembre 2001. L’un des apports du livre de Christie est qu’il met bien en évidence le rôle joué par des groupes économiques dans ce mouvement de pénalisation toujours plus large et plus dure : il nous décrit un véritable " marché de la punition ", qui inclut la construction des prisons, leur gestion, mais aussi l’exploitation des prisonniers par des firmes privées, dans des conditions qui dérogent aux règles du Droit du travail, et qui se rapprochent du travail non-rémunéré.

Plusieurs autres points mériteraient d’être abordés plus longuement, notamment les analyses que propose Christie pour comprendre la mutation qui s’est opérée aux Etats-Unis, ou encore les rapprochements qu’il établit entre " l’industrie de la punition " et les logiques totalitaires. Il y aurait sans doute là matière à discussion, mais Christie pose un vrai problème : si les " démocraties occidentales " ne peuvent à l’évidence pas être assimilées aux régimes nazis et staliniens (eux-mêmes différents l’un de l’autre), on ne peut pas non plus se contenter de les opposer comme s’ils étaient absolument antithétiques, et c’est à juste titre que Christie nous met en garde sur la direction que prennent ces " démocraties ".

Nils Christie

L’industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident
Autrement, collection " Frontières ", 2003

http://www.syndicat-magistrature.org/article/415.html

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