Tout porte à croire que l’administration Bush, avec l’appui de nos dirigeants, s’apprête à effectuer une intervention militaire en Iran, soit directement soit par le biais d’Israël. Certains sceptiques refuseront bien entendu de se laisser effrayer par des prédictions aussi alarmistes. Néanmoins, les faits parlent d’eux-mêmes. Nous assistons en ce moment à la répétition intégrale du scénario qui a conduit à l’invasion illégale de l’Iraq en 2003. Une phase importante dans la réalisation de ce scénario s’est déroulée il y a deux semaines, lorsque les États-Unis et Israël ont lancé une campagne visant à discréditer l’autorité du directeur de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) Mohammed El Baradei. Voici les faits :
Le 25 octobre dernier, les États-Unis ont décrété une nouvelle série de sanctions contre l’Iran. Ces sanctions, de nature essentiellement économique, ont pour but avoué d’obliger l’Iran à mettre fin à son programme nucléaire [1]. Or il n’existe actuellement aucun indice permettant d’affirmer que le programme nucléaire iranien est de nature militaire. Par conséquent, ces sanctions sont illégales, puisque tout pays signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), en vertu de ce traité-même, reconnu par 189 pays de la communauté internationale dont les USA, le Canada et tous les pays de l’Union Européenne, a non seulement le droit de développer la technologie nucléaire à des fins civiles, mais devrait pouvoir compter à cet effet sur le soutien et la collaboration des autres pays signataires [2]. C’est pourquoi Mohammed El Baradei, le directeur de l’AIEA chargée de s’assurer que les pays signataires respectent les dispositions du TNP, a publiquement désapprouvé ces nouvelles sanctions. Dans une entrevue accordée le 28 octobre à la chaîne américaine CNN, Mohammed El Baradei a de nouveau déclaré que l’AIEA n’avait « reçu aucune information sur un programme nucléaire militaire concret et en activité à ce jour », et que les récentes menaces américaines d’attaquer l’Iran ne faisaient que jeter « de l’huile sur le feu ». Il a d’ailleurs ajouté qu’il était complètement prématuré d’envisager une opération militaire contre l’Iran, puisque même en supposant que le programme nucléaire iranien soit effectivement de nature militaire, il leur faudrait, selon les estimations des hauts responsables américains eux-mêmes, encore plusieurs années avant de mettre l’arme nucléaire au point. Estimant qu’une confrontation militaire mènerait « au précipice », il a invité les pays au dialogue : « Nous devons continuer de travailler par les moyens d’une diplomatie créative. Nous avons le temps. Parce que je ne vois pas d’autre solution que la diplomatie et les inspections », a-t-il insisté
[3].
Quelle fut la réaction des autorités américaines et israéliennes aux déclarations de El Baradei ? Elles ont cherché à discréditer son jugement, témoignant par là du fait qu’elles n’avaient nullement l’intention de respecter l’autorité de l’AIEA. En ce qui concerne les autorités américaines, qu’El Baradei avait invité à fournir leurs preuves contre l’Iran si elles en avaient, elles ont tout simplement maintenu leurs accusations sans se plier aux demandes de ce dernier, suggérant qu’il suffisait de savoir que l’Iran enrichissait de l’uranium pour connaître ses intentions. La porte-parole de la Maison Blanche Dana Perino s’est exprimée à ce propos de la manière suivante : « Voilà un pays qui enrichit et convertit l’uranium et la raison qu’a quelqu’un de le faire, c’est pour mener à l’arme nucléaire », a-t-elle dit [4]. Cette dernière affirmation est bien entendu totalement fausse. Il existe une grande différence entre l’uranium enrichi destiné à l’usage civil et l’uranium enrichi de qualité militaire [5]. Quant à Israël, sa réaction aux propos du directeur général de l’AIEA fut encore moins tempérée. Le ministre israélien des Affaires stratégiques, Avigdor Lieberman, a publiquement accusé El Baradei de chercher à « blanchir et justifier » l’Iran. Il a déclaré que le responsable de l’AIEA, qui est d’origine égyptienne, était motivé « par un engagement vis à vis du monde islamique ». « La preuve que ce qu’El Baradei cherche est probablement le champignon atomique que chacun sera en mesure de voir dans le ciel », a-t-il dit, suggérant par là qu’El Baradei souhaite secrètement voir l’Iran larguer une bombe nucléaire sur Israël [6]. Il s’agit là évidemment d’une déclaration purement rhétorique, étant donné que l’équipe de l’AIEA chargé de l’inspection des armes et des installations nucléaires en Iran est constituée d’un ensemble de spécialistes d’origines extrêmement diverses.
Il ressort donc des réactions d’Israël et de la Maison Blanche que ni l’un ni l’autre ne sont en mesure de fournir de preuves des intentions belliqueuses de l’Iran, mais qu’ils sont néanmoins fermement décidés – comme le prouvent un grand nombre de déclarations récentes [7] - à faire fi de l’autorité de l’AIEA en allant jusqu’au conflit armé si l’Iran refuse de mettre fin à son programme nucléaire (ce qui risque fort d’arriver).
Confirmation inattendue (ou plutôt : attendue, mais advenue plus tôt que prévue) de l’interprétation des faits proposée plus haut : au moment même où j’écris ces lignes, on apprend que les autorités israéliennes demandent le renvoi du directeur de l’AIEA Mohammed El Baradei. Shaul Mofaz, le Vice-premier ministre de l’État d’Israël, a déclaré hier (jeudi 8 novembre) : « La politique suivie par El Baradei met en danger la paix dans le monde. Son attitude irresponsable qui consiste à enfouir sa tête dans le sable en ce qui concerne le programme nucléaire iranien doit amener à son renvoi » [8].
Le 24 avril dernier, Dennis Kucinich [9], un député américain du Parti Démocrate candidat aux élections présidentielles de 2008, a officiellement engagé une procédure de destitution (impeachment) contre le Vice-président des États-Unis Richard B. ("Dick") Cheney [10], qui constitue sans aucun doute l’un des plus ardents partisans de l’actuelle politique d’agression des États-Unis à l’endroit du Moyen-Orient. Homme d’affaire hautement lié aux intérêts de l’industrie pétrolière (de 1995 à 2000, Cheney fut Pdg pour le conglomérat Halliburton, un leader mondial dans le domaine de l’exploitation du pétrole et du gaz naturel, qui s’est vu offrir sans appel d’offre un contrat de 7 milliards de dollars en Iraq suite à l’invasion en 2003) [11], il fut l’un des principaux artisans de l’intervention militaire en Iraq [12] . À l’heure actuelle, Richard B. Cheney milite activement en faveur d’une action militaire contre l’Iran [13]. Cette demande de destitution est bien entendu un événement d’une importance capitale. Pourtant, il fut et continue d’être pratiquement occulté aussi bien par la presse nord-américaine que par la presse européenne, ce qui tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle les médias occidentaux, bien loin d’avoir pour objectif d’informer la population, ne seraient en réalité que l’organe de propagande des autorités et institutions représentant les intérêts des grandes corporations et des milieux d’affaires.
Les accusations formulées par Kucinich sont extrêmement sérieuses et l’ensemble des preuves et des témoignages qu’il a accumulés contre Cheney est impressionnant. En ce qui concerne le dossier iraquien, Kucinich démontre de manière pratiquement irréfutable que Cheney, avant l’invasion de l’Iraq en 2003, a délibérément trompé la population américaine en affirmant à plusieurs reprises que le gouvernement savait de source sûre que Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massive et qu’il était en voie d’acquérir l’arme nucléaire, au moment-même où toutes les investigations de la CIA démentaient ces conclusions. Le dossier monté par Kucinich contre Cheney est également d’une grande utilité en ce qui concerne la question iranienne, puisque Kucinich explique pourquoi les accusations et menaces de guerre formulées par Cheney à l’endroit de l’Iran, étant donné qu’il n’existe aucune preuve permettant d’affirmer que le programme nucléaire iranien est de nature militaire, sont mensongères et illégales en vertu des conventions internationales reconnues par les États-Unis. Tous les documents sur lesquels se base Kucinich pour formuler ses accusations, de même que le texte officiel de la demande de destitution, sont disponibles sur le site officiel de ce dernier. L’intervention du 24 avril, à l’occasion de laquelle Kucinich a déposé et lu sa demande de destitution, qui résume très bien l’ensemble des accusations formulées à l’endroit de Cheney, peut être visionnée ici. Tous ceux qui luttent pour la paix, me semble-t-il, devraient se donner la peine d’écouter attentivement cette intervention et de consulter ces documents.
En terminant, je tiens à spécifier que le présent texte reflète l’état actuel de mes connaissances, fondées sur les sources indiquées. Tout être humain étant sujet à l’erreur, il n’est donc pas impossible que certaines des affirmations contenues dans ce texte écrit en toute bonne foi soient inexactes. J’invite tout un chacun à examiner lui-même les faits, et à me faire part du résultat de ses recherches concernant des points abordés ou connexes à l’adresse suivante : vasansguerre@yahoo.ca.
Manuel Roy