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Journée mondiale de la biodiversité : La nature est morte, vivent les services écosystémiques !

par Virginie Maris

vendredi 22 mai 2009, par ab (JournArles)

C’est aujourd’hui la journée mondiale de la biodiversité. Sachant que le rythme de disparition des espèces animales et végétales est actuellement au moins cent fois supérieur au taux naturel d’extinction, on pourrait tout aussi bien déclarer ce 22 mai 2009 jour de deuil international.

L’idée de biodiversité, qui a déjà remplacé celle de nature dans les années 80, est elle-même en phase de s’éclipser au profit de la notion très en vogue de services rendus par les écosystèmes. Ce glissement lexical n’est pas anodin. Il est révélateur d’une transformation profonde de notre conception du monde naturel et des raisons de le protéger, conception de plus en plus marquée par la scientifisation, l’instrumentalisation et la monétarisation.

La conscience de l’effet délétère des activités humaines sur la nature ne date pas d’hier. Dès le milieu du vingtième siècle, différentes règlementations nationales et internationales sont adoptées afin de protéger la nature.

Une première mutation de la conception de la nature s’opère au milieu des années 80, alors qu’un véritable champ scientifique s’organise autour du problème de l’érosion de la diversité biologique et que le néologisme de « biodiversité » remplace progressivement toute référence à la nature. La connaissance de la diversité du vivant devient alors la chasse gardée des biologistes, mais sa valorisation fait encore l’objet d’une définition sociale et pluraliste. On lit par exemple dans le préambule de la Convention sur la Diversité Biologique (Rio, 1992) qu’en plus de sa valeur sur les plans « environnemental, génétique, social, économiques, scientifique, éducatif, culturel, récréatif et esthétique », la diversité biologique possède une « valeur intrinsèque », c’est-à-dire une valeur indépendante de son utilité pour les êtres humains.

Une seconde mutation écorne ce pluralisme. Parmi les nombreuses valeurs associées à la biodiversité, l’attention se concentre sur les services rendus par les écosystèmes, tels que la régulation du climat ou l’approvisionnement en ressources naturelles. L’Evaluation des écosystèmes pour le millénaire, initiée au début des années 2000, fait des services écosystémiques la justification principale, si ce n’est la seule, des efforts de protection de la biodiversité. La nature n’est alors plus valorisée qu’en fonction des bénéfices qu’elle nous procure.

Une troisième mutation est en marche. Une fois que l’on s’est débarrassé de l’idée de nature pour réduire le vivant non-humain à un pourvoyeur de biens et de services, il ne reste plus qu’à chiffrer les bénéfices. C’est ce que propose le rapport Chevassus-au-Louis présenté fin avril au Ministère de l’écologie. Après avoir pris soin de mettre de côté la biodiversité dite remarquable, les auteurs proposent de se baser sur les services écosystémiques pour attribuer une valeur monétaire à la biodiversité ordinaire. On obtient par exemple le prix de la forêt métropolitaine : 970 euros par hectare et par an. De son côté, l’Agence européenne pour l’environnement s’est prononcée en faveur de la tarification des services écologiques lors de sa dernière réunion à Athènes au mois d’avril. Les ministres de l’environnement du G8 et d’une dizaine d’autres pays industrialisés se sont quant à eux engagés à utiliser « l’économie comme un outils pour atteindre les objectifs fixés par les politiques en matière de biodiversité » dans la Charte de Syracuse signée le 5 mai dernier. Le message est limpide. Une fois chiffré et monétarisé, le monde naturel pourra sans obstacle être livré en pâture aux marchés financiers. Les bourses-carbone avaient ouvert le bal en financiarisant l’atmosphère, il aurait été surprenant que la biosphère n’entre pas dans la danse. L’inauguration récente de la CDC-biodiversité, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignation, qui propose aux investisseurs d’acheter des « unités de nature » en guise de droit à détruire illustre parfaitement cette nouvelle logique.

Ce à quoi l’humanité est aujourd’hui confrontée n’est pas un simple problème comptable, mais un véritable défi moral. Voulons-nous poursuivre dans la voie de la domination et de l’appropriation systématique de toute forme de vie sur terre ou sommes-nous prêts à repenser notre modèle de développement et de rapport au monde vivant, afin de chercher des formes de cohabitation avec les autres espèces moins destructrices, fondées sur le respect et la recherche de bénéfices mutuels ? Alors que les êtres humains s’approprient aujourd’hui plus de la moitié des ressources de notre planète, il serait judicieux de se poser sérieusement la question et de ne pas laisser à quelques banquiers et traders le soin de décider pour nous ce que sera l’avenir de la vie sur Terre.

Virginie Maris

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