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2008

ALERTE ROUGE ZAPATISTE

par Naomi Klein

mardi 8 janvier 2008, par Forum Civique Européen

"Sentir el rojo. El calendario y la geografía de la guerra"
Au Chiapas, beaucoup de gens signalent que les conditions
actuelles sont terriblement familières : les paramilitaires, les tensions
croissantes, les activités mystérieuses des soldats, le nouvel isolement
du reste du pays. Ils ont déjà une requête pour ceux qui les ont appuyés
dans le passé : ne regardez pas seulement en arrière, regardez vers
l’avant et évitez un autre massacre d’Acteal.

San Cristobal de Las Casas. Les crèches de Noël abondent dans cette ville coloniale des hautes terres de l’État du Chiapas. Mais celle qui accueille les visiteurs à l’entrée du centre culturel TierrAdentro [1] a sa propre touche locale : les figurines à dos d’âne portent des passe-montagnes et des armes en bois.

C’est la haute saison du "zapatourisme", l’industrie des voyageurs
internationaux qui s’est développée autour du soulèvement zapatiste
[depuis 1994, ndlr] et TierrAdentro est le point de rencontre. Les
affiches, la bijouterie et les textiles réalisés par les zapatistes se
vendent rapidement. Dans le restaurant, dans la cour, où, à 10 heures du soir, l’atmosphère est à la fête, les étudiants universitaires boivent de
la bière Sol. Un jeune montre une photographie du sous-commandant Marcos, avec un passe-montagne et une pipe comme toujours, et lui donne un baiser. Ses amis prennent une photo de plus de ce mouvement sur lequel fourmillent les documents.

On m’emmène au milieu de ceux qui font la fête, vers une pièce fermée au public, à l’arrière du centre. Ici, la sombre atmosphère semble nous faire plonger dans un monde à part. Ernesto Ledesma Arronte, un chercheur de quarante ans, avec une queue de cheval, est penché sur des cartes militaires et des rapports de droits humains. "Tu as compris ce qu’a dit Marcos ?" me demande-t-il. "C’était très fort. Il n’a rien dit de
semblable depuis de nombreuses années."

Arronte fait référence à un discours qu’a prononcé Marcos la nuit passée
(le 16 décembre) au cours du "Premier Colloque international Planète Terre : mouvements antisystémiques". Le discours s’intitulait : "Sentir le
rouge. Le calendrier et la géographie de la guerre" ("Sentir el rojo. El
calendario y la geografía de la guerra"). Comme il s’agit de Marcos,
c’était poétique et légèrement elliptique. Mais pour les oreilles
d’Arronte, c’était une alerte rouge. "Ceux qui ont fait la guerre savent
reconnaître les chemins par lesquels elle se prépare et se rapproche", a
dit Marcos. "Les signaux de guerre à l’horizon sont clairs. La guerre,
comme la peur, a aussi une odeur. Et maintenant on commence déjà à
respirer son odeur fétide sur nos terres."

L’évaluation de Marcos appuie ce qu’Arronte et ses collègues du Centre
d’analyse politique et de recherches sociales et économiques (Centro de
Análisis Político e Investigaciones Sociales y Económicas, CAPISE) ont
suivi à la trace avec leurs cartes et leurs graphiques. Il y a eu une
augmentation significative de l’activité dans les 56 bases militaires
permanentes que l’État mexicain a en territoire indigène au Chiapas. Ils
sont en train de moderniser les armes et l’équipement, de nouveaux
bataillons entrent, dont des forces spéciales. Tous ces éléments sont des
signes de l’escalade militaire.

Les zapatistes étant devenus un symbole mondial pour un nouveau modèle de résistance, il était possible d’oublier que la guerre au Chiapas n’a jamais pris fin. Marcos, malgré son identité clandestine, provocante, a
joué ouvertement un rôle dans la politique mexicaine, surtout aux cours de l’élection présidentielle très serrée de 2006. Plutôt que de soutenir le
candidat de centre gauche, Andrés Manuel Lopez Obrador, il a été le fer de lance d’une campagne parallèle, l’"Autre campagne". Il a organisé des
concentrations où l’attention s’est portée sur des affaires ignorées par
les candidats principaux.

Au cours de cette période, le rôle de Marcos comme dirigeant militaire de
l’Armée zapatiste de libération nationale (Ejército Zapatista de
Liberación Nacional, EZLN) a semblé se dissiper. Il était le "délégué
Zéro", l’anti-candidat. La nuit passée, il a annoncé lors d’une conférence
que ce serait sa dernière apparition dans des activités de ce type
(rencontres, tables rondes, interviews). L’EZLN "est une armée, bien autre chose aussi bien sûr, mais c’est une armée", a-t-il rappelé au public, et lui, c’est le "chef militaire".

Cette armée affronte une nouvelle et grave menace, qui atteint le cœur de la lutte zapatiste. Durant le soulèvement de 1994, l’EZLN a pris de
grandes extensions de terre et les a collectivisées, sa victoire la plus
tangible. Dans les accords de San Andrés, le droit des peuples indigènes
au territoire a été reconnu mais le gouvernement mexicain a refusé de
respecter ces accords. Après l’échec à consacrer ces droits, les
zapatistes ont décidé de les appliquer de fait. Ils ont formé leurs
propres structures gouvernementales, connues sous le nom de "conseils de bon gouvernement" ("juntas de buen gobierno") et de redoubler d’efforts pour construire des écoles et des cliniques autonomes. Avec les zapatistes étendant leur rôle de gouvernement de facto sur de grandes extensions du Chiapas, la détermination des gouvernements des États fédéral et fédérés pour les saper s’est intensifiée.

"Maintenant, dit Arronte, ils ont leur méthode." Celle qui consiste à
utiliser le profond désir des paysans du Chiapas à avoir des terres contre
celui des zapatistes. L’organisation d’Arronte a informé que, dans une
seule région, le gouvernement a dépensé près de 16 millions de dollars
pour exproprier des terres et les donner aux nombreuses familles liées au notoirement corrompu Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Souvent, la terre était déjà occupée par des familles zapatistes. Plus graveencore, nombreux sont les nouveaux "propriétaires" qui sont liés aux groupes paramilitaires qui essaient d’expulser les zapatistes des terres sur lesquelles ils ont de nouveaux titres de propriété. On assiste depuis septembre à une escalade significative de la violence : tirs en l’air,
coups, familles zapatistes faisant état de menaces de mort, viols et
dépeçages. Les soldats, dans leurs casernes, auront bientôt l’excuse dont ils ont besoin pour sortir : restaurer la "paix" entre les groupes
indigènes qui se disputent entre eux. Durant des mois, les zapatistes ont
résisté à cette violence et ont essayé de faire connaître ces
provocations. Mais parce qu’ils n’ont pas choisi de soutenir Lopez Obrador lors des élections de 2006, le mouvement s’est fait de puissants ennemis.
Et maintenant, dit Marcos, leurs appels à l’aide se heurtent à un silence
assourdissant.

Il y une décennie, le 22 décembre 1997, eut lieu le massacre d’Acteal.
Dans le cadre de la campagne antizapatiste, un groupe de paramilitaires
ouvrait le feu à l’intérieur d’une petite église du hameau d’Acteal, tuant
45 indigènes, dont 16 enfants et adolescents. Certains furent tués à la
machette. La police de l’État entendit les tirs mais ne fit rien. Durant
les presque trois derniers mois, le quotidien "La Jornada" a mis en
relief, par une large couverture, le dixième anniversaire tragique du
massacre.

Au Chiapas, toutefois, beaucoup de gens signalent que les conditions
actuelles sont terriblement familières : les paramilitaires, les tensions
croissantes, les activités mystérieuses des soldats, le nouvel isolement
du reste du pays. Ils ont déjà une requête pour ceux qui les ont appuyés
dans le passé : ne regardez pas seulement en arrière, regardez vers
l’avant et évitez un autre massacre d’Acteal.

Naomi Klein

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