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VA SANS GUERRE - Numéro 1

par Manuel Roy

mercredi 24 octobre 2007, par ab (JournArles)

Le 17 octobre dernier, George W. Bush a brandi le spectre d’une troisième guerre mondiale en rapport avec la question iranienne. Après s’être dit persuadé que l’Iran cherchait à acquérir l’arme nucléaire dans le but d’anéantir l’État d’Israël, il a déclaré : "So I’ve told people that, if you’re interested in avoiding World War III, it seems like you ought to be interested in preventing them from having the knowledge necessary to make a nuclear weapon" [1]. Ainsi, ce qui était déjà clair est maintenant devenu une évidence : à moins d’une mobilisation monstre, les USA lanceront une attaque sur l’Iran avant la fin du mandat de Bush en 2008. Or ils risquent de déclencher par là le conflit mondial qu’ils prétendent vouloir prévenir, puisque Vladimir Poutine a clairement signifié qu’une telle attaque ne serait pas tolérée par la Russie [2]. Un cap se trouve donc aujourd’hui franchi, me semble-t-il, au-delà duquel il devient irresponsable de ne pas s’opposer activement aux politiques guerrières des USA et des gouvernements qui les soutiennent, comme c’est par exemple le cas des actuels gouvernements canadien [3], français [4], allemand [5] et britannique [6]. La mobilisation en faveur de la paix au Moyen Orient doit devenir dans nos vies une priorité majeure.

À cet égard, notre objectif minimal doit être de lutter contre le travail de désinformation effectué par les médias. Ce travail de désinformation, il est important de le comprendre, ne prend pas la forme de mensonges directs, mais il consiste en ceci que les médias relayent constamment et presque exclusivement, la plupart du temps sans aucun esprit critique, les déclarations des autorités officielles et des organes qui les soutiennent. Les grands médias assurent en ce sens une couverture partielle et partiale des événements, ce qui peut être considéré comme une façon indirecte de tromper ou de mentir. Ils ne diront jamais, par exemple, que le programme nucléaire iranien est effectivement de nature militaire, mais ils nous bombarderont avec les déclarations des autorités américaines ou européennes à ce sujet, déclarations qu’ils se garderont bien de mettre en doute ou de contrebalancer en permettant aux points de vue divergents de se faire entendre. Pourquoi ce travail de désinformation ? Une hypothèse probable est qu’il constitue la condition indépendamment de laquelle l’agenda militaire de nos gouvernements ne peut être mis en œuvre. Selon toute apparence, les gouvernements occidentaux n’ont pas le pouvoir d’engager leur pays dans une guerre sans avoir le consentement d’une grande partie de la population, et les médias dans cette optique, qu’ils en aient conscience ou non, auraient pour fonction de fabriquer ou de manufacturer ce consentement. Par conséquent, si la population réalisait qu’elle est manipulée de la sorte par les médias, la guerre serait de facto rendue impossible, du simple fait de la désapprobation populaire. Comment la guerre illégale des États-Unis et de la Grande-Bretagne en Irak fut-elle rendue possible ? C’est grâce à l’insistance avec laquelle les déclarations de l’administration Bush à propos des supposées armes de destruction massive irakiennes ont été relayées, sans aucun esprit critique, par la plupart des journaux imprimés et télévisés américains et anglais [7]. Le même scénario se reproduit aujourd’hui avec l’Iran, mais cette fois-ci à l’échelle de l’Occident tout entier. Que ce soit dans le but délibéré de provoquer une guerre ou simplement dans une logique sensationnaliste, les médias, en relayant encore une fois sans discernement les déclarations alarmistes des autorités officielles concernant le dossier iranien, se rendent complices d’une désinformation massive ayant pour effet de persuader la population de la nécessité d’attaquer l’Iran. C’est ainsi que, selon les plus récents sondages des grandes chaînes américaines, plus de 75% de la population des USA se dit convaincue que le programme nucléaire iranien est de nature militaire [8]. Pourtant, il n’existe à l’heure actuelle aucune indication, et encore moins de preuve, que l’Iran ait des intentions belliqueuses et constitue une menace, que ce soit pour Israël ou pour le monde occidental.

Tout d’abord, selon les rapports officiels les plus récents, l’Iran coopère pratiquement sans réserve avec l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique - prix Nobel de la Paix en 2005), qui constitue l’organisme chargé de faire respecter le Traité de non-prolifération des armes nucléaire (TNP) au nom de la communauté internationale. D’une part, en ce qui concerne les installations nucléaires iraniennes déclarées, l’AIEA confirment qu’elles ne visent en aucun cas le développement de l’arme atomique, mais le développement de la technologie nucléaire à des fins civiles. D’autre part, l’Iran s’est engagé, il y a de cela plusieurs semaines déjà, à répondre à toutes les exigences de l’AIEA à propos des installations nucléaires n’ayant jusqu’à présent fait l’objet d’aucune inspection, de sorte que les quelques questions qui subsistent encore dans le dossier du nucléaire iranien seront éclaircies d’ici la fin du mois de novembre prochain [9]. Voici ce qu’on peut lire à ce propos dans le dernier rapport de l’AIEA datant du 17 septembre 2007 : "the Agency has been able to verify the non-diversion of declared nuclear material in Iran. Iran has continued to provide the access and reporting needed to enable Agency verification in this regard" ; et un peu plus loin : “while the Agency so far has been unable to verify certain important aspects relevant to the scope and nature of Iran’s nuclear programme, Iran and the Secretariat agreed last month on a work plan for resolving all outstanding verification issues” [10]. Ainsi, la communauté internationale, à l’heure actuelle, alors qu’elle n’a aucun sérieux motif de plainte concernant la coopération de l’Iran, est en outre incapable de produire le moindre élément de preuve en faveur de l’hypothèse selon laquelle le programme iranien d’enrichissement d’uranium serait de type militaire plutôt que civil. Or le développement de la technologie nucléaire à des fins pacifiques (civiles), en vertu du TNP, constitue un droit de tout État signataire du traité, traité reconnu par la quasi-totalité de la communauté internationale (189 pays signataires sur 192 ; Israël, l’Inde et le Pakistan ne sont pas signataires [11]. Le TNP stipule en effet : "les avantages des applications pacifiques de la technologie nucléaire, y compris tous les sous-produits technologiques que les États dotés d’armes nucléaires pourraient obtenir par la mise au point de dispositifs nucléaires explosifs, devraient être accessibles, à des fins pacifiques, à toutes les Parties au Traité, qu’il s’agisse d’États dotés ou non dotés d’armes nucléaires" ; et un peu plus loin : "toutes les Parties au Traité ont le droit de participer à un échange aussi large que possible de renseignements scientifiques en vue du développement plus poussé des utilisations de l’énergie atomique à des fins pacifiques, et de contribuer à ce développement à titre individuel ou en coopération avec d’autres États" [12]. Dans ces conditions, les sanctions visant à mettre fin au programme nucléaire iranien adoptées par les pays de la communauté internationale, que ce soit sur une base spontanée ou par le biais de l’ONU, ne violent-elles pas directement le TNP ?

Ensuite, contrairement à ce que les médias laissent entendre depuis plusieurs mois, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad n’a pas dit qu’il souhaitait anéantir l’État d’Israël. Il s’est plutôt prononcé contre l’oppression des grandes puissances que sont les USA et la Grande-Bretagne, et contre la tendance sioniste de l’actuel gouvernement israélien, c’est-à-dire contre ses dispositions belliqueuses et expansionnistes, dont il a "prédit", dans un discours mêlé de références religieuses sans rapport avec une action militaire, qu’elles étaient le fait de régimes qui ne dureraient pas. Une telle "prédiction", dans cette optique, apparaît très clairement comme l’expression d’un espoir, et non pas d’une menace. Il est d’ailleurs facile de le comprendre si l’on replace la déclaration du président iranien dans son contexte. Cette déclaration fut faite à Téhéran le 25 octobre 2005 à l’occasion d’une conférence intitulée Le monde sans le sionisme (World Without Zionism). Dans cette conférence, Mahmoud Ahmadinejad expliquait que le « régime sioniste » (et non le pays d’Israël en soi) était l’instrument au moyen duquel les Américains tentaient d’assurer leur domination sur le Moyen Orient et de faire mainmise sur ses ressources. Face à ce constat, il appelait le monde islamique à ne pas perdre espoir, en rappelant à son auditoire que même les régimes les plus puissants n’étaient pas éternels. À ce propos, il donnait l’exemple du régime du Chah d’Iran, du régime communiste de l’ex-URSS, et du régime tyrannique de Saddam Hussein. Suite à cette énumération, il conclut avec la phrase suivante : « L’Imam disait que ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps. Cette affirmation est très sage. » Je pose maintenant la question : n’est-il pas clair que cette phrase exprime simplement le souhait d’un changement de régime, et non une menace de guerre ? Or c’est cette phrase, originairement prononcée en persan, qui est devenue dans la presse la supposée déclaration selon laquelle l’Iran avait pour objectif de « rayer Israël de la carte ». Voilà les faits. Ceux qui ne seraient pas convaincus ou satisfaits de l’explication présentée ici pourront se référer sur ce point à l’analyse détaillée de Arash Norouzi, un artiste iranien démocrate et libéral, disponible sur le site Palestine Solidarité [13].

La vérité, c’est que l’Iran n’a jamais explicitement menacé d’attaquer Israël. Ce que les médias, en se bornant au rôle de sténographes des autorités officielles et de leurs majorettes, laissent entendre à cet effet, constitue encore une fois une image faussée de la réalité, fondée sur certaines déclarations outrageusement déformées et présentées hors contexte. En revanche, l’État d’Israël a explicitement menacé, à plusieurs reprises au cours des dernières années, de s’attaquer à l’Iran [14]. Le 7 janvier 2007, le Sunday Times révélait d’ailleurs que, selon plusieurs sources concordantes demeurées secrètes, Israël aurait l’intention de recourir pour ce faire à des armes nucléaires dites « tactiques » [15]. Le 8 mai 2006, le vice-Premier Ministre Shimon Peres déclara d’ailleurs dans un entretien accordé à Reuters que l’Iran pouvait lui aussi être rayé de la carte [16]. Paradoxalement, Israël refuse de se reconnaître comme une puissance nucléaire. En principe, le programme nucléaire israélien est clandestin. N’étant pas signataire du TNP, l’État d’Israël refuse en outre de se soumettre aux inspections de l’AIEA [17]. Contrairement au programme iranien, donc, le programme israélien ne respecte pas les dispositions du Traité de non-prolifération nucléaire dont l’AIEA, au nom de la communauté internationale, doit garantir l’application. Tout individu capable d’un jugement libre et indépendant devrait donc être conduit à se poser la question suivante : dans ces conditions, pourquoi l’État d’Israël ne fait-il l’objet d’aucune sanction, alors que l’Iran, qui se plie pratiquement à toutes les recommandations de l’AIEA, se trouve sous la pression constante de la communauté internationale ? Sur ce point, une hypothèse s’impose naturellement : peut-être est-ce parce que les États-Unis, soutenus par le Canada et l’Europe, visent à occuper militairement le Moyen Orient, et que l’État d’Israël, en tant que puissance nucléaire alliée des USA occupant une position stratégique dans ce secteur, est destiné à jouer un rôle-clef dans la réalisation de cet objectif.

Il est normal de se sentir désemparé et impuissant face à l’impressionnante machine de guerre mise en place par nos gouvernements. Cependant, cette impressionnante machine pourrait bien n’être en réalité qu’un géant au pied d’argile. En effet, elle repose encore une fois sur la désinformation dont les grands médias, volontairement ou non, se rendent complices. Mais les faits sont vérifiables. Il nous suffit de nous informer sérieusement et de communiquer l’information dont nous disposons. Tout est là. Cessons de croire aveuglement ce qu’on nous raconte et redevenons maîtres de nos opinions.

En terminant, je tiens à spécifier que le présent texte reflète l’état actuel de mes connaissances, fondées sur les sources indiquées. Cependant, tout être humain étant sujet à l’erreur, il n’est pas impossible que certaines des affirmations contenues dans ce texte soient inexactes. J’invite donc tout un chacun à examiner lui-même les faits, et à me faire part du résultat de ses recherches concernant des points abordés ou connexes à l’adresse suivante : vasansguerre@yahoo.ca.

Manuel Roy


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