Alors que l’immigration de travail a cessé officiellement en 1974, une filière tout à fait légale reste ouverte à l’importation de main d’œuvre étrangère à deux conditions : que le contrat de travail n’excède pas huit mois et que les travailleurs soient originaires du Maroc, de Tunisie ou de Pologne.
La France a signé des accords sur la main d’œuvre avec ces trois pays et implanté dans les capitales une mission de l’O.M.I. (Office des Migrations Internationales) ; d’où les appellations courantes de « contrats OMI », « saisonniers OMI » voire « OMI » pour désigner les travailleurs concernés.
Ces appellations sans fondement juridique ont une consonance parfaitement pertinente : les « OMI » sont ignorés, oubliés, laissés pour compte.
Chaque année, 4000 ouvriers étrangers viennent du Maroc et de Tunisie faire fonctionner l’agriculture « moderne » des Bouches-du-Rhône pendant six à huit mois. À la morte-saison, ils retournent au pays dans l’attente d’un nouveau contrat sans aucune garantie, même après plus de vingt années de service chez le même patron.
C’est bien là le scandale majeur : alors que chacun, exploitants agricoles en tête, reconnaît que
« sans les "OMI", il n’y aurait plus d’agriculture compétitive dans les Bouches-du-Rhône »,
ces ouvriers n’ont aucune garantie de séjour et d’emploi reconnus au-delà de leur période de travail annuel au motif, purement formel, qu’il s’agit d’une « saison ». (une saison de 8 mois !)
Dès lors, la visée du renouvellement de leur contrat d’une « saison » à l’autre obsède tous ces ouvriers, les conduisant à une totale soumission à leurs employeurs. Ces derniers peuvent bafouer les règles de l’exploitation standard - parfois pimentée de paternalisme ou de racisme « ordinaire » - pour soumettre leurs salariés à des pratiques qui confinent au servage, en toute impunité.
Car les exploitants (exploiteurs) qui entrent dans ces dérives ne sont pas isolés. D’une part, ils bénéficient de la compassion d’une opinion publique facile à émouvoir sur le thème du pauvre petit paysan menacé de ruine par les méfaits conjugués de la nature ingrate, de l’administration tatillonne et des acheteurs rapaces de la grande distribution. D’autre part, ils peuvent compter sur le soutien inconditionnel du lobby agricole qui n’admet que du bout des lèvres l’hypothèse de rarissimes brebis galeuses et montre l’exemple de l’incivisme en organisant, au moindre prétexte, manifestations violentes et saccages qui terrorisent les pouvoirs publics.
Enfin, les « OMI » sont le cadet des soucis de tous les services publics qui justifient leur passivité au prétexte d’une prétendue « spécificité du statut OMI », les rares fois où ils sont interpellés. Car il faut dire que l’accès aux services publics et, plus généralement, à la vie sociale en dehors des vergers et des serres, est plutôt malaisé pour les travailleurs agricoles.
Pendant la durée de leur contrat, ils n’ont de temps libre que le dimanche...s’il n’y a pas de tâches urgentes. Et s’ils se maintiennent en France, ne serait-ce que quelques jours après la fin de leur contrat, ils deviennent immédiatement des « sans-papiers » et sont traités comme tels.
Car les travailleurs étrangers sans papiers semblent beaucoup intéresser les autorités répressives. Les fréquentes opérations de contrôle d’identité dans les champs - souvent sur réquisition du procureur de la république - conduisent, bon an mal an, une cinquantaine d’ouvriers agricoles au centre de rétention d’Arenc, d’où la moitié sont embarqués de force vers le « bled ». Il est rarissime que les employeurs soient inquiétés, les délits d’emploi d’étranger sans titre et de recours au travail dissimulé ont de beaux jours devant eux.
Le CODETRAS a été constitué en 2002 par des militants associatifs, des syndicalistes et des chercheurs révoltés par ce déséquilibre structurel absolu entre, d’une part, les travailleurs saisonniers étrangers et, d’autre part, les exploiteurs agricoles et leurs complices.
Après trois années d’existence, le Collectif a décidé de porter à la connaissance du public certaines des situations individuelles et collectives dont il a été saisi comme autant d’illustrations des ravages de la loi de la jungle qui régit l’agriculture intensive des Bouches-du-Rhône.
Il s’agit donc d’un premier livre noir qui vise d’abord à faire partager notre indignation devant l’injustice organisée en système avec le concours des pouvoirs publics.
Mais ce livre est également teinté d’espoir car ces situations sont aussi des exemples d’insoumission libératrice et d’une étonnante confiance dans les institutions garantes de l’Etat de droit.
D’où une seconde visée : susciter l’engagement de la société civile pour qu’elle interpelle ces institutions et soit vigilante sur leur fonctionnement afin que les « omis » soient enfin respectés et leur confiance justifiée « au nom du peuple français ».
Enfin, un phénomène complètement nouveau est apparu cet été 2005 qui ouvre une perspective de recul de l’injustice sous la pression des exploités eux-mêmes.
Pour la première fois, des centaines d’ouvriers agricoles étrangers ont pris collectivement leur destin en main en se mettant en grève dans les plus grandes exploitations de la Crau. Largement rapportées par les médias, ces actions ont abouti rapidement à la satisfaction des revendications essentielles des salariés. Serait-ce le prélude d’un nouveau rapport de force ?