Les anti-OGM, l’épi à la main
2 000 militants et élus rassemblés dans le Tarn-et-Garonne ont fauché volontairement du maïs transgénique. À visages découvert.
Les drapeaux et les tee-shirts virent aux couleurs des tournesols et des chaumes récemment moissonnés, qui imprègnent en ces temps de canicule la campagne environnante. Aux cris d’" OGM, non, non, non ", près de 2 000 personnes ont hier à midi fauché une parcelle d’essai de maïs transgénique située sur la commune de Manville, en Haute-Garonne. Venus en long cortège automobile de Verdun-sur-Garonne, à une trentaine de kilomètres dans le département limitrophe du Tarn-et-Garonne. Action illégale, mais pleinement assumée par les très nombreux faucheurs volontaires. À visage découvert aussi et totalement pacifique, comme l’avaient demandé les organisateurs. Quelques gendarmes seulement sont présents sur la petite route qui longe la parcelle. D’autres, dans les champs, cafteur photographique à la main. " Si des destructions sont avérées, les gens identifiés son passibles de poursuites ", avertit un gradé de la gendarmerie. Les élus présents (1) conduisent en tête le cortège. Tout se passe cependant comme prévu. Dans le calme et la bonne humeur. Chaque faucheur repart, un épi de maïs OGM à la main.
Une contestation grandissante
Né l’été dernier lors du vaste rassemblement contre l’OMC sur le Larzac, le collectif de faucheurs volontaires - plus de 2 700 personnes s’étaient alors inscrites dans ce mouvement - n’avait décidé d’agir qu’en dernier recours. Si les autorités européennes et gouvernementales persistaient dans leur volonté d’autoriser à tout prix l’expérimentation d’OGM en plein champ, malgré la contestation grandissante de l’opinion publique et des élus locaux. Depuis les décisions récentes d’autoriser l’importation de maïs OGM (BT 11) et de nouveaux essais en plein champ, ont placé, en quelque sorte, les opposants et les mouvements citoyens en état de légitime défense face à la surdité gouvernementale. " Le collectif de faucheurs volontaires a décidé de se réapproprier le droit de dire non à un État qui ne respecte pas la démocratie, aujourd’hui encore en ayant recours au 49-3 pour imposer sa loi sur la décentralisation, et ne tient pas compte de l’avis des élus locaux qui refusent les essais OGM ", souligne samedi après-midi en ouverture du rassemblement, José Bové, ancien porte-parole de la Confédération paysanne et leader de la lutte anti-OGM. Il rappelle qu’à ce jour plus de 2 000 municipalités et la plupart des conseils régionaux, dont celui de Midi-Pyrénées, ont pris des arrêtés d’interdiction d’essais sur les territoires de leurs communes. Pourtant, constate-t-il, l’intransigeance gouvernementale et les menaces contre les faucheurs de maïs ne doivent pas, à ses yeux, minimiser les avancées marquées par les actions et le refus manifeste de la population. Pour preuve, note-t-il, de 90 hectares en 1998 la superficie totale dans le pays d’essais en plein champ ne représente plus cette année que 7,5 hectares, et plusieurs firmes semblent avoir jeté l’éponge. " Ce week-end d’action doit fournir l’occasion de marquer un grand coup pour l’arrêt final d’essais de semences génétiquement
modifiées ", insistent alors les organisateurs.
Respecter la volonté publique
Il n’est pas surprenant que la tonalité dominante des débats qui se déroulent tout au long du samedi après-midi vise à rechercher les meilleures conditions pour obliger les autorités gouvernementales et européennes à revenir sur leurs décisions et respecter ainsi la volonté publique majoritaire. Une quête commune - et c’est là aussi une donnée nouvelle et significative dans ce mouvement - réunissant côte à côte des citoyens, des associatifs, des élus et des responsables politiques. Le débat " OGM et politique " est l’un des plus assidûment suivi. Philippe Bedel, maire de Bax, petite commune rurale de Haute-Garonne, est assigné au tribunal administratif le 3 août prochain alors que la délibération municipale contre les OGM a été prise en 2002. " Cela ne nous empêche pas de nous sentir confortés par les acquis obtenus avec les positions prises depuis par la communauté de communes du Volvestre et le conseil général de Haute-Garonne. "
" Agir tout à la fois dans le concret local en incitant et aidant les municipalités à s’opposer aux essais de semences OGM, et dans le concret international en demandant un moratoire ", affirme Sylvie Mayer, biologiste, ancienne conseillère régionale communiste d’Île-de-France, pour expliciter la prise de position du PCF. Un refus justifié par plusieurs raisons : scientifiques, culturelles, économiques, et politiques. " L’introduction des semences OGM vise à intensifier encore plus l’agriculture industrielle, c’est un choix de politique agricole qui doit être reconnu pour cela, et nous proposons un autre choix fondé sur la souveraineté alimentaire de chaque pays, la qualité des produits et la défense de la petite paysannerie. " Réélu récemment vice-président du Parlement européen, le député Vert Gérard Onesta assure pour sa part que la bataille n’est pas perdue car la transposition de la directive européenne concernant les cultures OGM pourra être interprétée différemment suivant les pays. Précisément sur la distance de sécurité imposée entre les plants OGM et non OGM qui est laissée à l’entière liberté de chacun des pays membres. Il met aussi en avant les possibilités qu’offre le protocole de Cartagène, dont la France est signataire, qui autorise un État à refuser les cultures d’organismes génétiquement modifiés sur son territoire.
Impatient mais pas pessimiste
Un échange utile et concret se poursuit sur la nécessité de renforcer les délibérations municipales, les rendant ainsi plus difficilement annulables, par des arguments locaux comme des demandes de protection de cultures bio ou labellisées sur le territoire communal. Joëlle Greder, secrétaire du comité Midi-Pyrénées du PCF, invite à ne pas en rester aux seules initiatives municipales, aussi utiles qu’elles soient. " Débattons dans le même temps avec la population pour développer toutes les raisons de fond pour lesquelles les semences OGM doivent être refusées. " Pour Gilles Lemaire, secrétaire national des Verts, il est aujourd’hui devenu indispensable de " marier les actions sur le terrain comme celle de ce dimanche matin et les interventions au sein des institutions politiques à tous les niveaux ". " La politique, c’est aussi nous, c’est les citoyens ", lance une dame dans la discussion. C’est l’occasion, sans doute, que saisit un jeune intervenant pour s’avouer " impatient, mais pas pessimiste " pour la suite du mouvement.
Dès l’entrée du parc d’Yssandre, à Verdun-sur-Garonne, qui accueille les faucheurs volontaires et leurs amis depuis samedi, deux tables et des prospectus posés dessus font office de bureau d’embauche. Plus de six cents personnes y ont ce week-end rempli un bulletin individuel d’engagement chez les faucheurs volontaires. Toujours à visage découvert et prêt à s’engager pour les futures actions déjà annoncées.
Alain Raynal
Verdun-sur-Garonne (Tarn-et-Garonne), correspondant régional.
(1) Parmi les élus, on note la présence pour les Verts de Noël Mamère, député maire de Bègles ; de Gilles Lemaire, secrétaire national ; de Gérard Onesta, vice président du Parlement européen ; de plusieurs conseillers régionaux d’Île-de-France, d’Aquitaine, de Rhône-Alpes, mais aussi de nombreux maires ruraux et conseillers municipaux comme Marie Billi, élue communiste à Nice ; Christian Piquet, dirigeant national de la LCR
Extrait de l’humanité du 26 juillet 2004