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Beauduc

Laboureurs des mers, l’horreur de la terre...

par Guy Marigot

mardi 3 mai 2005, par ab (JournArles)

Lorsque j’étais petit, mes parents n’ayant pas la télévision, j’étais obligé d’avoir beaucoup plus d’imagination si je ne voulais pas m’emmerder. J’allais donc à la pêche et lisais beaucoup. Pêche et lecture me conduisirent inévitablement à l’inénarrable roman de Pierre Loti, « pêcheurs d’Islande ».

D’histoires de pêche en histoires de pêcheurs, je rencontrais au détour d’une page, le mythique terme de « laboureurs des mers ».
Pour moi, fils de paysan qui voyais souvent mon père et quelquefois mes frères partir le matin travailler avec le cheval, le labour est indissociable des semailles. Celui qui travaille la Terre, il la laboure, puis il l’engraisse avec du fumier, avec sa sueur, quelque fois avec son sang et puis il la sème avec une petite partie de sa récolte précédente qu’il aura mise de coté pour cet usage. Il attendra patiemment que les saisons fassent pousser son ouvrage, que le soleil et les abeilles le fécondent, et puis un beau jour, il ira moissonner le fruit de son Labeur afin de nourrir les siens et les autres.
Le laboureur des mers lui, avec sa barbe, sa pipe et son ciré dessinés sur toutes les boîtes de sardines, partait travailler la mer, puis, revenait à terre en attendant que ça pousse. Quelques fois il ne revenait pas et grâce à Pierre Loti, j’avais beaucoup de peine pour sa femme.

C’est beaucoup plus tard, adulte, pêchant le loup sur les pointes de Beauduc en plein hiver et me demandant ce que foutaient ces trois ou quatre chalutiers à quelques centaines de mètres du bord que je compris la mystification, le plagiat incestueux du mot laboureur, le vol de son image.
Ces bateaux étaient en train, au mois de décembre, en pleine période de fraie, de chaluter dans les herbiers de posidonies situés dans le golfe de Beauduc. Herbiers qui sont une frayère, une nurserie pour les loups. Chalutant de front, ces tristes imbéciles arrachaient chacun entre mille et mille cinq cent kilos de loups à chaque passage d’après les dires du pêcheur artisanal local effondré qui les écoutait à la radio. Les grosses femelles pleines étant une proie de choix, je vous laisse imaginer la suite.
En effet qu’ils labouraient les salopards ! Mais pas pour des semailles. On peut utiliser le même terme pour labourer son champ ou un champ de bataille, mais là, c’est la mort que l’on sème. C’est un peu comme si on disait que l’acte d’amour et le viol sont les mêmes moyens de reproduction chez les humains.

Nous étions au milieu des années quatre vingt et au début de la chose. Les affaires maritimes, la gendarmerie maritime, les syndics des pêches et la présidence du parc naturel de Camargue alertés, me renvoyèrent qui une réponse embarrassée, qui une réponse polie. Quand aux autres, il me fut souvent répondu que, lorsqu’un chalutier accrochait malencontreusement les filets d’un petit pêcheur, ils se retrouvaient le lendemain au large et le différent se réglait à coup de billets de banque !
Ecoeuré par tant d’inconséquence et de laxisme, j’ai arrêté de pêcher.
Dans les années quatre vingt dix, j’ai écris une brève dans le journal de l’association des camarguais, « lou Simbéu », « le Symbole », dénonçant à nouveau ces pratiques de pirates. Brève accompagnée d’un petit dessin amusant montrant un chalutier qui, à traîner trop prés du bord, s’était emplâtré un platane. Il faut croire que les camarguais ont tellement d’humour qu’ils n’y ont rien vu d’autre.

Comment peut on, aujourd’hui, se sentir solidaire des pêcheurs qui barrent les ports pour demander une baisse du prix du carburant ?
Comment se sentir proche de ces gens qui, dans leur fuite en avant, vont bientôt pêcher avec des filets en moustiquaire, tellement ils ont ratissé les fonds ?
Comment s’apitoyer sur le sort de ces gens qui, dans leur course effrénée à celui qui aura le plus gros bateau, ont laissé Intermarché devenir le plus gros armateur de pêche de France et faire la peau des petits pêcheurs artisanaux locaux ?
Mais au fait, quand on nous parle « des pêcheurs », qui nous dit que, encore une fois, ça ne sont pas les plus grandes gueules et les plus gros bateaux qui occupent le devant de la scène médiatique ? Eux et leurs revendications. Faut il encore une fois mettre tout le monde dans le même sac ?
Car c’est ça le pur bonheur des corporatistes de tout poil, le crime parfait, arriver à faire défendre les gros par les petits afin qu’ils puissent mieux les bouffer plus tard, dés que les projecteurs regarderont ailleurs.

Aujourd’hui, tout le monde se réveille la gueule enfarinée avec le sentiment d’avoir un gros caca dans son assiette.
Il faut vite faire quelque chose ! Et surtout n’importe quoi.
Manifestons !
Pétitionnons !
Vite faisons
Une association !
Une commission !
Une motion !
Et nom de nom !
Si jadis on vous a pris pour des cons,
Demain je vous l’assure, ça va continuer.

Devrons nous attendre, comme ce fut le cas pour le ballet des hélicoptères traitant les rizières en Camargue, qu’un retraité excédé en abatte un de deux coups de fusil, pour que le pouvoir Républicain se décide enfin à faire respecter le droit ?
La chose est bien trop dangereuse lorsqu’il s’agit de vies humaines.
Par contre, un petit comité d’accueil qui attendrait ces chalutiers à leur port d’attache et qui dénoncerait bruyamment leurs pratiques, aurait l’avantage de réveiller bien des léthargies administratives, journalistiques et politiciennes. Car après tout, ces bateaux, ils ne viennent pas de la planète Mars. Leur port d’attache c’est le Grau du Roi, Port de Bouc ou Sète. Et là, de jour, on peut les voir, tel Dr Jeckil, amarrés en toute quiétude.

Mais comme disait le laboureur de Mr de la Fontaine à ses enfants : « Labourez ! Labourez ! C’est les cons qui manquent le moins »

Pour tous les p’tits loups assassinés
Que nous ne pourrons pas manger.

Guy Marigot

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