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Appel

Mot d’ordre : désordre

par Naïm

mardi 26 juin 2007, par ab (JournArles)

L’heure est grave. Le ton qui est le mien ce soir en résulte. Avec l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, nous entrons, chacun l’aura compris, dans une nouvelle ère. L’ère de l’entreprise au pouvoir, du patronat tout-puissant, l’ère de la dictature des multinationales, de la propagande unanime et complaisante des médias dominants qui lui sucent la bite à l’unisson, l’ère d’un nouveau service du travail obligatoire, l’ère du mérite et du libre-arbitre, en opposition à tout déterminisme sociologique, toute velléité de comprendre, de remonter la chaîne de causalité... Non, nous vivons l’ère du dernier maillon, celui qu’on doit punir et châtier sévèrement, parce qu’il a, nous dit-on, le choix. Nous devons le croire. Parce qu’on nous le dit, et que nous vivons l’ère du renoncement à la quête de vérités. Nous vivons l’ère de l’acceptation de la corruption la plus éhontée. Nous vivons l’ère de la répression sans frontières - frontières qu’on laissera aux demandeurs d’asile, lorsqu’on leur fermera la porte au nez - , du prix à payer, de la contestation, devenue légitime, de toute contestation, de la raison d’état qui plane autour de la police, et de son syndicat pro-sarkozyste Alliance, l’ère de la remise en cause du droit de grève, et du traitement par une violence policière inouïe des manifestations pacifiques, l’ère de la trahison du peuple au profit des grandes fortunes, au cours de laquelle les riches vont pouvoir prospérer encore et encore, au détriment des petites gens, à qui on enlève le peu qu’ils ont, sous prétexte que ce n’est pas leur rendre service que de les assister, de leur ôter le plaisir de savourer la récompense de l’effort...

Pourquoi ne se pose-t-on jamais cette question à l’égard des Lagardère, Bolloré, Vivendi, Dassault, Pinault, Bouygues ? Pourquoi cette nouvelle "philosophie", si dénuée de pensée soit-elle, ne profite-t-elle, elle, qu’aux pauvres ? Soyons donc justes. Pourquoi défavoriser ainsi les multi-milliardaires, qui croulent sous l’absence de problèmes ? Parce que nous vivons l’ère nouvelle d’une droite extrême décomplexée, l’ère du digne héritier de Bush, Thatcher, Berlusconi, et Reagan. Parce que l’homme le plus dangereux que nous n’ayons jamais eu comme candidat à la présidence de la République a réalisé l’impossible : il est élu. Tout ça me laisse un arrière-goût d’Hitler dans la gorge... Même procédé, même ambition, même détermination. Même succès. Je vois déjà les intellectuels prétentieux accourir. "Ne pas comparer l’incomparable. Sarkozy n’a rien à voir avec Hitler. L’homme le plus dangereux qu’on ait jamais eu comme candidat, c’est Le Pen. Dire que Sarkozy est plus dangereux que ce dernier est une hérésie."
Ah, qu’ils sont drôles les intellectuels de nos jours, par leur manque de discernement, leur cécité intéressée, leur étroitesse d’esprit, leur compromission à toute épreuve pour être surmédiatisés, et leur manque d’intégrité conséquent. Les BHL, Finkielkraut, Sollers, Minc, Morin, Glucksmann, Gallo, Pech, Rosanvallon et sa République des idées (crétines), et même Onfray, qui s’abaisse à discuter avec Sarkozy, dans Philosophie Magazine, et à lui concéder qu’il est un libertaire, enthousiaste, allant jusqu’à projeter des vacances communes avec l’ex-ministre de l’Intérieur...

Le Pen est dangereux certes, mais Le Pen n’est pas adulé par la moitié des Français, loin s’en faut ; il n’a jamais bénéficié d’un accueil dythirambique au sein des médias quels qu’ils soient, mis à part dans la minoritaire et relativement peu lue presse d’extrême-droite - en l’occurrence Minute et Le Choc Du Mois, appartenant tous deux au même groupe, La Sacemm(avec 2 "m") - et d’un accueil particulièrement désastreux dans les divers médias dominants, où il est depuis toujours instrumentalisé, pour servir d’épouvantail, et masquer, entre autres choses, le racisme et le fascisme institutionnels qui sévissent en toute impunité aux 4 coins du pays. Monsieur Le Pen est non seulement diabolisé, et désigné comme LE porte-parole du néo-fascisme à la Française, dont il détient un quasi-monopole depuis si longtemps qu’il a l’opinion publique, dans une très importante proportion, contre lui, mais de plus, il n’est pas, et n’a jamais été le candidat des multinationales, il n’a jamais servi leurs intérêts comme un Sarkozy le ferait. Or, comme on sait que ce sont ces gens-là qui tiennent le pouvoir, il n’y a aucune raison ni aucune chance pour que Le Pen, ou un autre de son espèce, soit élu. Y compris en 2002, où politiques et médias tous ensemble nous ont joué un sacré numéro de cirque, une gigantesque mascarade, servant comme d’habitude les intérêts de ceux qui prétendent servir les nôtres. Le Pen est devenu un faux danger, un risque inventé, un panneau qu’on nous brandira lors de chaque élection désormais, pour nous cacher la route que celui qui brandit le panneau nous prépare. Par contre, celui bénéficiant de ce procédé cette année avait, lui, toutes les chances d’être élu, sans suspense ni surprise. Parce que LUI, en revanche, se trouvait être le candidat des multinationales, l’ami des grands fortunés de France et du monde, il avait derrière lui un appareil de campagne unique en son genre, à son service la complaisance unanime, même déguisée, de tous les médias dominants, il avait leur aval, et leur appui même.

Dès lors, il n’est pas difficile de comprendre, connaissant la puissance d’impact idéologique de ces derniers, et leur importante contribution à modeler le réel, et non plus seulement le refléter, que Sarkozy soit élu avec 53,06% des voix - des voix ayant choisi de, ou simplement ayant pu se faire entendre, donc en aucun cas 53,06% de la population française, soyons bien d’accord -. Il ne pouvait pas en être autrement, même s’il a été cher à toute la classe politique de nous le faire croire, soucieuse de dissimuler la défaillance grandissante de notre "démocratie". Le temps où ces guillemets mériteront d’être enlevés est encore loin. Fort loin. Alors, ceux qui brandissent, pour faire silence dans les rangs du fond, les vocables sacrés : "démocratie", "élection démocratique", "suffrage universel", "droit de vote" - parfois adjoint de "devoir de citoyen"(qui consisterait à voter justement) (SIC) - , "république", "droits de l’homme", "liberté", "égalité"... Ceux qui se servent de ces mots comme muselière pour le peuple qui s’insurge me font bien rire. Qui croient-ils faire taire avec un tel postulat ? Sérieusement. Les gens sont désinformés, mais pas dupes. Ou alors, ils sont dupes, mais pas tous. Qui veut nous faire croire que la pseudo-démocratie représentative qui est aujourd’hui la nôtre est, en quelque manière que ce soit, fidèle à sa définition originelle et étymologique : dèmokratia, "souveraineté du peuple", de dèmos, "peuple", et kratos, "puissance", "souveraineté" ? En quoi le peuple est-il souverain en la personne de Nicolas Sarkozy ? En quoi celui-ci représente-t-il "le peuple" ?

Le peuple n’est pas souverain. Sarkozy l’est, au nom du peuple, et use de ce simulacre pour légitimer les réformes ultra-libérales et liberticides qu’il entend mettre en place très prochainement.
Quel peuple Sarkozy représente-t-il ? Quelle est la proportion dudit peuple qui se reconnaît dans cet homme ? 53,06% des suffrages exprimés, me direz-vous (si l’on exclut les votes blancs et nuls comme forme d’expression). Permettez-moi d’en douter : ceux qui au départ se retrouvent dans ses propositions sont une infime minorité, détenant l’immense majorité du fric. Le reste est le résultat du travail de propagande mené par son équipe de campagne, ainsi que par les grands médias, donnant à penser aux téléspectateurs, le soir à 20h, devant leur poulet nourri aux OGM, dont ils auraient suspecté, il y a peu encore, qu’il leur refile la grippe aviaire...

Ah, les médias ! Comment penserions-nous sans eux ? Et donc, c’est à eux que l’on donne le crédit de l’information, avec des arguments aussi perspicaces que : "Ils l’ont dit à la télé !". C’est oublier un peu vite ce que la télé a dit au sujet du TCE (Traité Constitutionnel Européen), d’une part quant à son contenu, d’autre part quant à sa victoire. Comme quoi, la télé peut se tromper... Et lorsqu’elle ne se trompe pas, c’est nous qu’elle trompe, il ne faut pas l’oublier.

Sarkozy a déjà montré de quoi il était capable. En 5 ans, il a fait l’exploit de faire entrer en vigueur 20 propositions du programme du front national, en ligne sur le site du parti. Il a aussi, et ce à plusieurs reprises, stigmatisé et insulté publiquement une frange de la population des quartiers populaires, déclenchant des réactions vives chez ces derniers, réactions tournant vite à l’émeute. Il a récemment menacé de « virer toute cette direction » de France 3, parce qu’il jugeait qu’on l’avait fait attendre trop longtemps avant de pouvoir être maquillé, commençant par dire, en arrivant dans les locaux de la chaîne, que cette émission "l’emmerde", qu’il n’a pas envie de la faire.

Je ne parlerai pas de "l’immigration maîtrisée", certes moins maîtrisée que l’ « art » de l’expulsion, non plus de l’hystérie sécuritaire, de l’eugénisme, de la privatisation en vue de tous les services publics qui ne le seraient pas encore complètement, de la privatisation des universités, avec comme prélude entre autres, une hausse significative des droits d’inscription, de la suppression de l’Impôt Sur les grandes Fortunes, ainsi que de celui sur Les Droits de Succession, pour mieux assurer la reproduction des élites et la pérennité des inégalités. Je ne parlerai pas de l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, et du durcissement généralisé des mesures contre les mineurs délinquants, des peines-planchers pour les "multi-récidivistes", du dépistage obligatoire des futurs délinquants potentiels, à l’école entre autres, et ce dès l’âge de 3 ans, de la réforme du droit de grève, avec notamment l’obligation d’assurer le service minimum, de la chasse aux "assistés", qui se traduit concrètement par une politique visant à exclure le plus grand nombre de personnes et de familles possible des dispositifs d’aides sociales, du prélèvement d’empreinte génétique, initialement prévu pour les délinquants sexuels, étendu à la quasi-totalité des crimes et délits, sans limite d’âge, comme on a pu le constater récemment avec l’affaire de ces deux enfants de 8 et 11 ans ayant, pour risquer ce fichage génétique, volé deux tamagoschi et deux balles rebondissantes.

Il est le scandeur du slogan "La France, tu l’aimes - sous-entendu : tu l’aimes telle qu’elle est, bien évidemment - , ou tu la quittes", mais il est aussi celui qui refuse et condamne toute repentance, tout sentiment de honte, de regret, de désapprobation rétrospective du passif colonialiste de la France, dont il dit qu’elle n’a rien à se reprocher, qu’elle n’a participé à aucun génocide, l’excluant ainsi du champ de toute contestation, ajoutant qu’il nous faut avancer, et cesser de se retourner, reléguant de fait au placard des vieilleries inutiles toute tentative de débat public, de discussion sur les conséquences de la colonisation, au rang desquelles le racisme post-colonialiste qui perdure, sur le malaise, que dis-je, sur la fracture sociale, la balafre des "indigènes" que rien ne referme... Et je m’arrête là, de multiples cas illustrant sa politique, mais aussi sa personnalité, sont, je l’espère, de notoriété publique, ou à défaut trouvables à qui veut bien ne serait-ce qu’en avoir vent.Mon idée n’était ici aucunement d’en établir la liste exhaustive. Je tenais juste à pointer du doigt ce qui me semble être une conjoncture sans précédent, dans le but que l’on puisse, individuellement et collectivement, réfléchir à d’éventuelles actions à mettre en place, afin d’en changer les différents paramètres, chose qui me paraît être d’une extrême urgence, et d’une extrême nécessité, étant donné les risques et périls encourus par chacun d’entre nous, et j’insiste, par chacun d’entre nous, si cette situation venait à durer dans le temps.

Alors, non, ceux qui manifestent leur mécontentement, depuis le dimanche 6 Mai 2007 au soir, n’ont pas nécessairement tort, et ne remettent pas en cause la démocratie parce qu’ils s’insurgent à juste titre contre une politique qui promet d’être fasciste et répressive, contre quelqu’un qui a par le passé montré qui il était, et dit ce qu’il comptait faire, ainsi que mis en application des mesures toutes plus liberticides les unes que les autres ; ils s’insurgent, à juste titre également, contre une élection qui avait moins à voir avec la démocratie et le débat d’idées, qu’avec la promotion publicitaire incessante, le matraquage médiatique quotidien, la fragilisation et la manipulation, par l’exacerbation croissante et permanente elle aussi du sentiment d’insécurité, de l’opinion publique, en dressant l’une contre l’autre les différentes franges de la population. Va-t-on, sans rien dire, risquer de laisser s’instaurer une nouvelle Terreur, comme jadis en 1793 ?
Celui qui, tend "à penser qu’on naît pédophile" et estime, à propos des jeunes qui se suicident, que "génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable", nous prépare un bien sombre avenir, si on le laisse faire.

C’est pourquoi je lance un appel à la mobilisation, qu’elle soit politique, militante, associative, artistique ou culturelle, orale, écrite, gestuelle, pacifique ou violente, individuelle et collective, à court terme pour gérer l’urgence, et surtout à long terme, pour préparer la suite. Qu’elle passe par les urnes, les actions associatives, la protestation populaire, les manifestations, les séditions, les pétitions, les grèves, les blocus, l’éducation populaire, les réunions publiques, le dialogue, la casse, le feu, le pillage, la déconstruction des clichés médiatiques, le boycott, les journées sans achat, voire l’abandon définitif d’une surconsommation inutile, l’extinction de la télévision, les regroupements de rue, les comités de soutien aux victimes du régime policier, les lettres ouvertes, tout… sauf les yeux fermés. Que chacun combatte avec ses armes. Puisque chacun a les siennes, et en partant du principe qu’un texte ne vaut pas moins sur le marché des armes qu’un automatique, ou un cocktail molotov, on peut mettre en commun nos outils, et idées, afin de consolider nos rangs, et d’accroître notre force de frappe. On n’est pas là pour jouer. Il est question de survie, on se défend, c’est tout. Et on se défend comme on peut, le danger serait de commencer à soumettre les différentes formes que peut prendre la contestation à une échelle de valeur, et d’en dévaloriser certaines par rapport à d’autres, divisant ainsi les résistants, et jouant le jeu du système.

Bourdieu disait : "On peut brûler des voitures, mais avec un objectif". Ne jugeons d’autrui ni ses raisons, ni ses façons, d’autant moins que nous n’avons aucun élément concret pour en faire l’appréciation. J’appelle chacun à résister, à son niveau, à sa manière. J’appelle chacun à faire preuve de force et de courage. Mais aussi à faire preuve de raison, de vigilance, et si besoin est, de discrétion. Car il est évident qu’un combattant en prison ou battu à mort par les forces de l’ordre est un combattant en moins.

J’invite qui voudra à me contacter à l’adresse forces_du_désordre@laposte.net afin d’échanger d’éventuelles idées d’actions à mener.

Naïm

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