en réponse, ci-dessous, copie de la lettre adressée par la présidente de l’ADEME, Michèle Pappalardo, à Monsieur Nicolino ce 12 octobre,
bien sincèrement,
nadia boeglin
conseillère de la présidente
Monsieur,
Dans votre ouvrage « La Faim, la bagnole, le blé et nous : une dénonciation des biocarburants », paru ce mois, vous citez à de nombreuses reprises l’ADEME, notamment dans votre chapitre 5 (« Derrière le rideau de la Comédie Française ») et dans votre chapitre 8 (« La grande manipulation du climat »).
L’ADEME considère, sans souhaiter réagir de manière approfondie sur la forme de vos propos, que la présentation des faits que vous faites est parcellaire et orientée et qu’elle donne lieu à des conclusions inexactes. Ceci nous apparaît particulièrement évident en ce qui concerne vos affirmations sur AGRICE et sur les ACV (analyse de cycle de vie) des biocarburants.
Ainsi, il nous semble nécessaire de rappeler quelques faits :
Historiquement, AGRICE (agriculture pour la chimie et l’énergie) est un groupement d’intérêt scientifique (GIS) qui a été créé en 1994 à l’initiative des Pouvoirs Publics. Hébergé par l’ADEME, il a comme objectif de soutenir la recherche sur les solutions de substitution du pétrole par des matières premières végétales dans les domaines des carburants et de la chimie. La création de ce GIS a ainsi devancé la nécessité de rechercher des solutions alternatives aux ressources fossiles, nécessité actuellement encore plus cruciale qu’elle ne l’était à l’époque. De telles solutions ne pouvant de toute évidence être espérées que par une collaboration étroite entre la recherche publique et les entreprises.
En terme de légitimité, la création d’AGRICE s’inscrit pleinement dans les pratiques d’accompagnement de l’innovation qui consistent à rassembler les acteurs impliquées sur un domaine (les parties prenantes) afin de créer de l’interactivité et des stratégies cohérentes tant sur la recherche, le développement technologique, l’industrialisation, la réglementation, les financements et les usages. Le terme de « réseau », que vous stigmatisez et que nous revendiquons, a été introduit par le comité interministériel de décembre 1999, qui sur proposition du ministre de la recherche (Claude Allègre) créait les Réseaux de recherche et d’innovation technologique. Le fonctionnement du GIS AGRICE a été le modèle qui a préfiguré ce mode d’animation de la recherche, du développement et de l’innovation. Cette approche a également été développée au niveau européen sous le terme de « plateforme ». Ce mode de fonctionnement ne peut être confondu avec celui d’un « lobby ». Si le lobby porte les intérêts d’un groupe, le « réseau » a pour objectif de créer une dynamique collective et porteuse d’innovation, partagée par les différentes parties prenantes concernées.
Concernant l’ADEME, son implication au sein d’AGRICE est parfaitement fondée. Elle s’inscrit en effet pleinement dans les missions que le législateur lui a confiées : « la réalisation d’économies d’énergie et de matières premières et le développement des énergies renouvelables, notamment d’origine végétale » (Article R131-2 du code de l’environnement). Figurent également dans les compétences attribuées à l’ADEME, « l’orientation et l’animation de la recherche technologique » (art. R131-3). Le développement des agro-carburants ainsi que la recherche de solutions alternatives aux ressources fossiles se trouvent donc de fait dans les technologies développées avec le soutien de l’ADEME. Les travaux soutenus concernent les agro-carburants de première génération mais aussi ceux de seconde génération, dont tous s’accordent à reconnaître l’intérêt prometteur majeur. Les aides de l’ADEME à la recherche ont un effet levier incitatif important. Si, pour les entreprises, les aides sont comprises entre 25 et 50% du montant des recherches, le montant total des recherches réalisées représente environ 3 fois le montant des aides apportées. A travers le programme AGRICE, c’est ainsi plus de 300 projets partenariaux de recherche (recherche collaborative) qui ont été soutenus et qui ont permis des avancées significatives dans les domaines des carburants et de la chimie du végétal.
Quant à vos attaques sur la confidentialité des résultats de recherches soutenues par des financements publics, confidentialité que vous prétendez anormale et totale, le positionnement de l’ADEME est clair en matière de publication des résultats des études et recherches qu’elle subventionne. Ainsi, quand une demande de confidentialité, dûment motivée, est faite par le bénéficiaire d’une aide - ce qui se comprend fort bien dans le cas de développements industriels notamment - elle est toujours assortie d’une durée limitée dans le temps et de la publication d’un rapport public, dès l’achèvement des travaux de recherche. Tous les rapports non confidentiels peuvent être consultés dans les centres de documentation de l’ADEME, voire sont consultables en ligne. Le contact avec les centres de documentation est disponible sur le site I’Internet de l’ADEME : www.ademe.fr .
Pour ce qui concerne les travaux menés sur l’évaluation environnementale des agro-carburants, les avis diffèrent certes sur les résultats des analyses de cycle de vie (ACV) et les conséquences du développement des agro-carburants. Mais ces divergences ne sont pas le fruit d’actions concertées de quelconques lobbies mais résultent de choix méthodologiques différents et d’une diffusion aujourd’hui imparfaite des connaissances, dans le domaine en pleine évolution de l’évaluation environnementale des problématiques touchant le secteur agricole. Des différentes études publiées sur ce thème (dont celle menée par l’ADEME et la DIREM en 2002 et associant aux travaux d’un consultant indépendant un comité de pilotage rassemblant l’ensemble des acteurs représentatifs du domaine : organismes de recherche publique, instituts techniques agricoles, industrie pétrolière, filières agro-industrielles), ressortent des variations importantes dans l’ampleur du bénéfice apporté par les agro-carburants mais ces études conduisent toutefois très majoritairement à une évaluation positive de ce bénéfice. En vue de réduire les divergences constatées sur cette question environnementale majeure, l’ADEME a pris l’initiative de réunir l’ensemble des parties prenantes, associations et experts, dans le cadre d’un groupe de travail national sur les agro-carburants, lieu de réflexion où chacun peut s’exprimer sur les travaux en cours. La première réunion, tenue le 27 septembre dernier, a permis de dresser un panorama de l’état actuel des connaissances et des points sur lesquels il nous faut, en toute transparence, travailler. Dans le même temps et en coordination avec les représentants de ce groupe de travail, l’ADEME a également initié une étude visant à définir un référentiel méthodologique commun pour l’établissement des bilans environnementaux des agro-carburants prenant en compte les différentes méthodes en présence afin de fournir des propositions à porter au niveau européen. Cette étude fera appel à un comité de pilotage associant les différentes parties prenantes et aux travaux d’un consultant indépendant.
Ainsi, qu’il s’agisse de ce dossier particulier ou de nos activités en général, vos insinuations quant à la manière orientée dont nous conduirions nos évaluations sont totalement infondées.
L’ADEME dément ainsi formellement les propos insultants et les insinuations tendancieuses que vous vous permettez d’émettre sur elle ou sur certains membres de son personnel, en particulier Monsieur Maurice Dohy. Les interprétations erronées que vous faites sur les compétences supposées et le manque d’impartialité du personnel de l’agence sont purement gratuites et en totale contradiction avec le professionnalisme et l’expertise de ses ingénieurs, notoirement reconnus par les milieux scientifiques.
Convaincue que l’urgence est aujourd’hui au débat pédagogique pour éclairer nos concitoyens dans leurs choix et non à l’échange d’invectives, je regrette profondément la manière dont vous avez abordé ce débat, manière polémique plus susceptible de nuire à la nécessaire mobilisation de tous pour relever les défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés que d’y apporter un éclairage constructif.
Espérant que le débat sur ces questions retrouve le sérieux et l’objectivité qu’il mérite,
Michèle PAPPALARDO