« Madagascar figure parmi les quatre plus grandes îles du monde. Sa surface égale celle de la France et de la Belgique réunies. Si l’on met en rapport cette surface de 587 000 km2 et sa population de 25 millions d’habitants, on peut estimer qu’elle est sous-peuplée. Mais c’est une population mal répartie puisque l’on note une forte concentration dans les villes, une population paysanne majoritaire et beaucoup de jeunes et d’enfants.
« Madagascar est une île dont le contour littoral est de 5 000 km. Cette configuration lui évite les conflits frontaliers comme cela peut se passer dans certains pays africains. Les règles de droit international donne au pays une surface maritime très importante. On peut ajouter aussi que notre pays est bien situé dans l’Océan Indien, car il n’est distant du continent africain que de 400 kilomètres et son versant Est l’ouvre aux pays riverains de l’Océan Indien. »
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Madagascar est de longue date caractérisée par son originalité insulaire qui en a fait un sanctuaire de la nature. Le métissage originel et récurrent de sa population a résulté de vagues successives de migrations austronésiennes anciennes terrestres jusqu’en Afrique de l’Est et moins anciennes à travers l’Océan Indien. De sa particularité éminemment insulaire et afro-asiatique a découlé un mode traditionnel d’organisation sociale à base de parenté (consacrant le patriarcat) et un substrat culturel riche en diversité (cosmologie, cosmogonie, mythes, animisme, culte des ancêtres etc.).
Sinueuse, l’histoire de Madagascar s’est déclinée en continuités et ruptures : systèmes de parenté, royaumes, monarchie, colonisation, « indépendance », « démocratie »… Les formes et processus, passés et présents, du politique dans la Grande Île sont à situer dans leurs contextes spatio-temporels spécifiques respectifs.
À travers le temps, Fokonolona (Communauté de base), Dina (Charte, Contrat social) et Tsena (Marché, espace de rencontre et d’échange) ont été et sont les piliers traditionnels des sociétés malgaches. De la fin de la période dite-« vazimba » (XIe siècle) à maintenant en passant par l’avènement des féodalités et la colonisation, ce triptyque d’institutions s’est maintenu avec différentes adaptations contextuelles.
Madagascar a été concernée par la géopolitique des comptoirs et de la traite d’esclaves puis, au XIXe siècle, par la géopolitique du partage colonial du monde où elle s’est confrontée à la France en compétition avec l’Angleterre mais, vaincue, a fini par perdre sa souveraineté en 1896. Le fait colonial a déstructuré les sociétés malgaches : répression pour « pacification », pillage des ressources (immatriculation des terres, création de réserves indigènes, attribution d’énormes concessions minières et forestières à de grosses sociétés, réquisition de la force de travail, institution d’impôt pour obliger les paysans à se salarier etc.) et aliénation idéologique et culturelle.
Ainsi la colonisation aura été la fracture déterminante dans l’histoire de Madagascar. Les résistances anticoloniales malgaches (successivement paysannes, intellectuelles, syndicales, politiques) ont culminé avec l’insurrection pour l’indépendance de 1947, malheureusement vaincue après sa répression violente par la France. Conséquence de cette défaite, l’indépendance sans souveraineté octroyée par la France le 26 juin 1960 ouvre un coursnéocolonial avec la signature et la mise en œuvre d’accords de coopération franco-malgache cadrant une mise sous tutelle militaire, économique, culturelle etc. que la majorité de la population rejette tout au long des années soixante.
En mai 1972, l’insurrection de la jeunesse malgache dénonçant le néocolonialisme et réclamant la malgachisation de l’enseignement a sonné le glas de la Première république mais elle a été court-circuitée par la mise en place d’un régime militaire associant des technocrates pour, en quelque sorte, remettre le pays au pas. Le « cauchemar mai 1972 » a suscité pour la France (et les autres puissances étrangères mais aussi les classes dirigeantes locales) la nécessité de réorganiser le procès néocolonial à Madagascar afin de le viabiliser dans la durée. Cette réorganisation perdure depuis 1972 au gré des crises politico-affairistes successives mettant aux prises des puissances étrangères entre elles et des fractions dirigeantes locales entre elles. Cette réorganisation est « tendancielle », en ce sens qu’elle cherche à s’adapter aux contextes et enjeux dans leur évolution : ainsi cette réorganisation tendancielle du procès néocolonial s’est accommodée, entre 1975 et 2002, d’un régime dit-« socialiste » : celui-ci est devenu « administratif », corrompu et autoritaire et a ainsi pu entamer [ à coup de plans d’ajustement structurel (P.A.S.), imposés par les institutions financières internationales ] le tournant libéral que subissent les Malgaches jusqu’à aujourd’hui.
Procédant de cette réorganisation tendancielle du procès néocolonial, le chaos néo-libéral malgache est rythmé par la conversion idéologique au Samy mandeha, samy mitady, ’Zay voa mandady (« Chacun roule et cherche pour soi ; le perdant rampera ») entamée depuis les années quatre-vingt, aux temps de la faillite du « socialisme administratif » ratsirakien : cette conversion, engagée depuis les privatisations et dérégulations appliquées dans le cadre des ajustements structurels successifs, fait plus que jamais effet de masse, dans le tout libéral actuel où « je-m-enfoutisme » et chacun pour soi rivalisent comme exprime la chanson « Tsy miraharaha » de DAMA.
En fait, depuis 2002, la guerre entre businessmen pour la conquête du pouvoir politique (au profit de leurs affaires) ne connaît aucun répit et implique tout le pays et toutes les ressources. D’escalades en surenchères, les « crises » politiciennes malgaches ont dégénéré en chaos aggravé dans lequel la population étouffe… Le sort de la population malgache est aujourd’hui plus que critique : déjà, dans son rapport publié en juillet 2013, la Banque mondiale a révélé que 92% de la population malgache vit en dessous du seuil de pauvreté : neuf habitants sur 10 vivent donc avec moins de deux dollars par jour à Madagascar.
L’UNICEF1 note en prenant en compte l’évolution réelle des budgets, « que le budget des secteurs sociaux évolue moins vite que le budget total. (…) De 2014 à 2018, le budget des secteurs sociaux constitue en moyenne 4,58% du PIB. » La dette de Madagascar est estimé pour 2018 à US$ 3,91 milliards2. Selon le quotidien Midi Madagasikara du 2 août 2018, Madagascar est passé dans le Rapport mondial sur le Développement Humain (RMDH)3 en deux ans du 154e au 158e rang sur 188 pays recensés.
Les « crises », en tout cas, ont eu pour effet de faire rater au pays la majorité des progrès vers des défis de longue durée, par exemple ceux inclus dans les « Objectifs du millénaire pour le développement » (OMD) : ainsi, particulièrement, les objectifs de la lutte contre la pauvreté, contre la faim, contre la maladie n’ont pas été atteints en 2015 !… Cette situation s’articule avec la recrudescence de l’insécurité, la mauvaise gouvernance de l’exploitation des ressources naturelles et le progrès limité dans la lutte contre la corruption.
La majorité de la population n’est pas dupe des enjeux du micmac politico-affairiste ambiant des menées pour contrôler les ressources minières : Pour l’ilménite4 le Canadien Rio Tinto dans le projet QMM à Taolagnaro-Fort-Dauphin, l’Australien World Titanium Ressources Ldt dans le projet TOLIARA SANDS à Toliara et le Chinois Mainland Mining sont dans la course. Le Canadien Sherritt International Corporation, le Japonais Sumitomo Corporation et le Coréen Korea Resources Corporation dans le projet AMBATOVY sont présents pour le nickel et le cobalt, l’Allemand TREM-Tantalum Rare Earth Malagasy pour les « terres rares » et l’Indien Varun pour l’exploration d’uranium dans la région d’Amoron’i Mania et dans le Menabe. D’autres s’assurent les ressources pétrolifères comme le Chinois Sunpec dans le Canal du Mozambique, la Française Total en investissant à la fois dans l’off-shore et dans le schiste bitumineux, Varun encore qui prospecte du pétrole sur plus de 5 000 km2 au sud de Mahajanga et du gaz au large de l’île Sainte-Marie etc. Pour l’accaparement des terres agricoles on trouve l’Italien Tozzi Green et des Indiens Landmark dans l’Ihorombe et Varun dans le Nord, après les turpitudes – en 2008 – du Sud-Coréen Daewoo Logistics dans le Nord-Est et dans l’Ouest avant qu’elles ne soient suspendues… En tout cas, ce « Landgrabbing » a pour objectif de produire – avec des semences transgéniques, selon certaines hypothèses – de l’agrocarburant au bénéfice des économies des puissances étrangères...
En fait, ce sont là, en général, plutôt des marchés de dupes au vu des redevances pour Madagascar sans commune mesure avec les bénéfices attendus par les multinationales. Il reste que les forcings actuels pour s’accaparer des ressources foncières, minières et forestières expulsent déjà quantité de paysans, agriculteurs ou pasteurs, des terres sur lesquelles ils vivent et travaillent depuis plusieurs générations : ce qui, au profit de l’agrobusiness, met en péril la sécurité et la souveraineté alimentaires du pays et l’agriculture familiale paysanne nourricière5.
On pourra aussi y voir le renforcement d’un processus de sape (commencé depuis des décennies) de la souveraineté malgache par rapport aux enjeux géostratégiques en cours. Le chaos malgache est donc de longue date : il est aujourd’hui dans une phase aggravée avec la ruée des multinationales sur les ressources, un autre chaos que celui induit par les guerres ouvertes ailleurs dans le monde.
A Madagascar la transition libérale n’arrive pas à vraiment prendre, parce qu’aucune des fractions dirigeantes, entre compradores divers et secteurs qui défendent peu ou prou leur marge de manœuvre contre les puissances étrangères anciennes ou nouvelles, ne l’emporte vraiment sur les autres. Cette transition libérale contrariée se défoule sur les pans fragilisés de la société, y compris les classes moyennes appauvries.
Le tout n’étant surtout pas qu’un problème de conversion idéologique, du bien commun au tout libéral, même si celle-ci a gagné du terrain… Par exemple et pour mémoire, la prestation des candidats aux dernières présidentielles de fin 2013, mais particulièrement les finalistes – et, sans doute aussi, beaucoup de prétendants à la députation [ 2064 candidats (dans 119 districts) pour 151 sièges ] –, était pathétique : cela se voyait, par exemple, dans leur posture dans des « castings » à l’instigation des chambres de commerce internationales pour déterminer le « bon libéral » selon les cadres logiques de la finance et des affaires. Les institutions financières et leur « climat amélioré des affaires » voulaient voir d’abord des sujets « gouvernables » et « gouvernés », c’est-à-dire « pas citoyens ». Par contre, sur le terrain, les campagnes ont été menées à coups d’artistes, de T-shirts, de concerts, de stades remplis et autres artifices. Parfois, des bons libéraux se grimaient même en « révolutionnaires » ou en « nationalistes » pour mystifier, « performer », « gagner des voix » !…
Les mises en œuvre actuelles de stratégies et de tactiques encore plus cyniques les unes que les autres par les belligérants politico-affairistes extérieurs et intérieurs du chaos malgache ne sont probablement pas de bon augure pour la grande majorité des 25 millions de Malgaches en quête de sérénité et d’un peu de mieux-être… Mais qui vivra verra !
Madagascar reste aujourd’hui un champ de paradoxes.
Des luttes pour des droits contre des puissances avérées se construisent de façon indépendante çà et là mais l’appauvrissement extrême chloroforme des pans entiers de la population.
Les réseaux de société civile restent de par leur histoire potentiellement puissants (...) mais sont relativement affaiblis par leur non-réactivité face à diverses instrumentalisations politiciennes : Madagascar bénéficiera-t-elle d’un positionnement indépendant de la société civile et du mouvement syndical par rapport au cours actuel et malgré le malgache-pessimisme ambiant ?
Détournée, perturbée et réprimée pendant des décennies dans ce pays, la construction dans l’action d’une vision clairement émancipatrice pour l’ensemble de la population – si elle ne va pas toujours de soi –, fait sereinement et peut-être en chansons son chemin. On sait bien que, dans l’histoire malgache, l’agenda des populations et des mouvements sociaux n’est jamais celui des puissants.
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