Le sauvage est dans la racine comme une dent de l’humanité, et la civilisation est la machine qui malaxe les groupes et les êtres, c’est le pétrisseur de la pâte humaine, dans un mouvement sinusoïdal, de croissance et de décadence.
Le mouvement horizontal de la civilisation à la surface de la terre, définit les grandes zones de l’humanité autour de la méditerranée, sur les glaces dans le désert, le Nord et le Sud…..tandis que le mouvement sauvage est vertical et remonte depuis l’essence du vivant, du profond de la nature, jusqu’à la fleur des individus.
On dit souvent que la civilisation pacifie, civilise, instruit, normalise, au contraire du sauvage, impulsif, destructeur, chaotique.
A-t-on jamais vu un sauvage à la tête d’un pays comme l’Allemagne nazie diriger les destructions que l’on sait et l’extermination de peuples ?
A-t-on vu des sauvages lancer depuis un continent des armées équipées de tout ce que la connaissance militaire et technique de l’époque permettait, pour conquérir, asservir, et piller tout ce qu’elle découvraient, réduire les hommes en esclavage, s’approprier les terres ?
Et plus tard concevoir puis fabriquer et enfin lancer deux bombes qui anéantirent 360’000 vies humaines à Nagasaki et Hiroshima en août 1945.
On peut lire dans le dictionnaire, pour le mot "sauvage" :
Qui n’est pas apprivoisé
Qui pousse naturellement sans culture
Désert inculte
Qui a quelque chose de féroce, de cruel, de violent, de grossier
Qui s’organise spontanément en dehors des lois, des règlements.
Puis nous lisons pour le mot "civiliser" :
Amener une société, un peuple d’un état primitif à un état supérieur d’évolution culturelle et matérielle
Adoucir, polir le caractère, les manières de quelqu’un.
On voit, à la lecture de ces définitions toute la distance qui nous sépare d’une réelle appréciation du sens de ces mots et de la réalité qu’ils recouvrent, et tout ce que peut cacher la valorisation de l’un au détriment de l’autre. On voit aussi, à la lumière des catastrophes modernes, la nécessité d’une redéfinition de ces termes et de ce qu’il faut changer dans nos comportements sociaux et dans nos rapports avec la nature.
La civilisation c’est le tout des hommes traversé par le mugissement des taureaux et les lianes de la pensée.
Le sauvage est sur la peau des adolescents, dans les boutons sur leurs joues, dans l’odeur des genêts et les poils sous les bras. Il s’écoule rouge sous la peau noire ou blanche et sous la veste de l’ouvrier comme sous le costume de l’homme d’affaires.
Il est dans le sourire de l’ange, à la cathédrale de Reims, il traverse les livres, de révolte ou de poésie, les chants soufis, il affleure dans toutes les étendues de la civilisation.
Il est aussi patient, raffiné, séducteur, stratégique.
La photosynthèse n’est pas l’oeuvre de la civilisation, l’organisation des processus vitaux, des cellules et des échanges, sont des manifestations supérieures de la vie, et celle-ci, sans les règles et les mécanismes de la civilisation, se manifeste d’une façon toujours supérieure à ces mêmes règles et mécanismes.
Le sauvage est amoral alors que la civilisation peut produire de l’immoral, il ne connaît pas l’excès et sa nécessaire régulation, car l’excès vient de l’illusoire liberté des hommes qui se sont séparés de la nature, et prennent pour un cadeau de celle-ci l’immense variété des projets de l’esprit qui pour bon nombre d’entre eux ne sont que des puissances débridées de leur ignorance et de leur vanité.
Le sauvage fonctionne avec les règles de la vie, la civilisation avec celles des hommes.
Dans le mouvement de progression d’une civilisation, on peut distinguer trois phases :
L’organisation humaine du sauvage, car l’homme se sépare peu à peu de la nature et doit ériger des règles qui vont s’y substituer.
La civilisation se substitue entièrement à la nature qu’elle pense maîtriser, c’est la phase de production.
Les règles et les productions de la civilisation s’opposent à la nature, c’est la décadence.
La nature possède une organisation et une science de cette organisation que notre savoir découvre avec beaucoup de difficultés.
Contrairement à ce que l’on pense généralement, ce qui est sauvage possède beaucoup de mesure et de sagesse.
Dans son rapport avec l’extérieur, le sauvage non protégé par la panse digestive des civilisations doit résoudre des équations simples et complexes pour sa survie.
Ses rapports apparemment primaires avec l’extérieur, le contraignent à des actions et à des méthodes réfléchis, dont la sagesse n’est pas une des moindres.
Son rapport avec l’extérieur est dans un mouvement constant de cause à effet entre lui et les choses rencontrées, aucune idéologie ne vient s’intercaler, et ce rapport direct avec le réel détermine à chaque instant le cours des choses.
Il s’en dégage ainsi, une science de la vie beaucoup plus expérimentée et beaucoup moins aventureuse que celle qui conduit la civilisation par son opposition à la nature dans les impasses que l’on connaît.
Il faut cependant préciser que cette opposition avec la nature ne veut pas dire que la civilisation est une entité extérieure à la nature, elle est une production de la nature tout comme l’homme, mais un produit divisé qui progressivement s’oppose à celle-ci, et disparaît dans cet affrontement.
Le processus serait comparable à celui du cancer, qui est un phénomène naturel, où la division et le détachement d’un amas de cellules s’oppose aux mouvements des autres cellules du corps.
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Sauvage et Civilisation
L’illusion tauromachique Texte et dessins Bessompierre Edition LA NUIT
ISSN : 1953-6291
Numéro hors série de la revue LA NUIT
Prix public 24€
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