Pollution de la Réserve Naturelle des Coussouls de Crau, un an après
Le CEEP et la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône s’inquiètent des impacts de cette catastrophe sur la biodiversité
Saint Martin de Crau (13) – Jeudi 5 août 2010
Il y a un an, la Réserve Naturelle des Coussouls de Crau (13), protégeant un patrimoine naturel exceptionnel, subissait une grave pollution aux hydrocarbures suite à la rupture d’un pipeline de
SPSE. Cette fuite a causé la destruction de 5 hectares de milieux naturels, sans compter les dommages liés aux travaux de dépollution. Aujourd’hui, le CEEP (Conservatoire-Études des Écosystèmes de Provence) et la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, co-gestionnaires de la Réserve, alertent sur les conséquences de cet accident et expriment leurs inquiétudes quant à l’avenir du site.
Le 7 août 2009, un garde de la Réserve Naturelle des Coussouls de Crau découvrait un geyser de pétrole de près de 4 mètres de hauteur. Durant près d’une heure, un flux d’hydrocarbure se répandait dans une des 164 réserves naturelles de France, noyant 5 ha de milieu naturel remarquable. En cause, la rupture d’une canalisation gérée par SPSE (Société du Pipeline Sud-Européen, dont le capital est principalement détenu par Total, Exxon Mobil, Shell et BP). Cet épisode dramatique a mobilisé
jusqu’au ministre de l’Écologie. Un an après, alors qu’une terrible pollution marine touche le golfe du Mexique, qu’en est-il en Crau ?
Un chantier titanesque
A la demande de l’État, SPSE a dû excaver 66 000 tonnes de terres souillées de pétrole brut. 3000 camions ont circulé dans la Réserve Naturelle sur des chemins servant habituellement à quelques
éleveurs. Au plus fort des opérations, jusqu’à 100 camions effectuaient des rotations en réserve chaque jour. Plusieurs dizaines de personnes étaient à pied d’oeuvre au sein d’un des espaces protégés les plus
importants d’Europe. Cette phase, qui a débuté fin août 2009, s’est achevée 8 mois plus tard en avril 2010. Pour traiter la zone de 5 hectares directement polluée, SPSE a établi un chantier clos sur une surface de 46 ha en réserve naturelle, utilisant 5 km de pistes, contrairement aux premiers engagements qui limitaient la zone d’intervention des engins aux 5 ha pollués.
5400 m3 de brut auraient été déversés selon SPSE. Une partie du pétrole s’étant infiltrée en profondeur, un dispositif lourd a été mis en place pour protéger la nappe phréatique : 70 puits ont été forés et une
station de pompage et de traitement de l’eau est installée à demeure pour plusieurs années. La rupture du pipeline a mis au jour des problèmes de fiabilité de l’ouvrage, ce qui a nécessité l’ouverture de nombreux chantiers de contrôle voire de renforcement d’autres tubes défectueux au coeur des espaces protégés de Crau. Ces chantiers réalisés dans l’urgence et la précipitation ont rajouté des impacts à la Réserve Naturelle et ont donné lieu à plusieurs verbalisations, notamment pour travaux irréguliers en réserve naturelle et destruction d’espèces protégées.
Des impacts écologiques majeurs
L’accident du 7 août 2009 s’est produit au coeur de la réserve naturelle des Coussouls de Crau, milieu steppique demeuré intact depuis 15 000 ans. C’est un lieu privilégié de reproduction du Ganga cata et de nombreuses autres espèces. Les 5 hectares de steppe recouverts de pétrole puis excavés sont irrémédiablement détruits. Plusieurs hectares supplémentaires ont été détruits par les opérations de dépollutions, souvent inutilement.
La pollution et le chantier de traitement ont détruit des milliers d’animaux, essentiellement des insectes mais aussi des reptiles comme le lézard ocellé ou la coronelle girondine. Le dérangement occasionné par les travaux sur la faune protégée est à mettre en perspective avec
l’ampleur du chantier : des milliers de camions, de voitures, d’engins lourds, des dizaines de personnes, le tout sur plusieurs dizaines d’hectares pendant huit mois au coeur d’un espace protégé
habituellement peu fréquenté…
D’autres impacts ne seront probablement jamais élucidés précisément faute d’analyses pertinentes, notamment ceux liés à la toxicité du pétrole et de ses effluves pour la faune locale. Si l’on considère la
toxicité du benzène pour l’homme, qui a nécessité le port impératif de masques et de protections pour les personnels ayant travaillé sur le chantier, on peut se demander quels impacts ont pu subir les
animaux vivant à la périphérie du secteur de l’accident. En plus des impacts écologiques, le pâturage par les troupeaux de moutons, essentiel pour la gestion de l’écosystème, a également été perturbé : l’éleveur a vu sa place de pâturage réduite de 20 % suite à la fermeture du chantier sur 46 ha, et la circulation des éleveurs et bergers dans ce secteur a été largement compliquée par le contrôle et la fermeture des accès par SPSE.
Des enjeux écologiques mal pris en compte
Il aura fallu beaucoup de temps pour que soit reconnue et prise en compte la fragilité du milieu naturel de la réserve dans la conduite du chantier de dépollution. Pendant les premières semaines, les recommandations des co-gestionnaires de la réserve n’auront pas été prises en compte ; une bonne part des dégâts supplémentaires causés par les travaux auraient pu être évités. Aujourd’hui, alors que débute l’évaluation des incidences écologiques de l’accident, SPSE ergote sur
l’analyse des conséquences de la rupture de son pipeline : ainsi elle refuse de faire évaluer les incidences liée à la pollution elle-même, se limitant strictement aux impacts du chantier de dépollution ; d’autres impacts sont ignorés, notamment ceux causés par les travaux de contrôle et de réparation des autres tubes ; les impacts sur la diversité biologique et le fonctionnement de l’écosystème ne sont pas non plus pris en compte. Les co-gestionnaires de la réserve demandent donc
qu’une tierce-expertise complète soit réalisée sur les impacts écologiques de l’accident.
Et maintenant ?
Un an après la catastrophe, les incertitudes et les inquiétudes restent très nombreuses sur l’état de la pollution et ses conséquences écologiques. Seule une partie du pétrole a pu être récupérée, mais SPSE tarde à fournir une estimation fiable de la quantité d’hydrocarbures encore emprisonnée dans le sous-sol de la réserve naturelle : les chiffres donnés varient de 500 à 2300 tonnes, sans qu’aucune explication claire ne vienne justifier ces écarts. Malgré ces incertitudes, SPSE souhaite désormais recouvrir la zone polluée, laissant dans le sous-sol le pétrole non récupéré.
Quelles que soient les suites données aux travaux de dépollution, la réhabilitation des milieux détruits pose elle aussi question. Les expériences de génie écologique menées récemment en Crau ont montré que la recolonisation de zones dégradées par les plantes de la steppe nécessitait des opérations lourdes et complexes ; reste à savoir si SPSE sera prête à financer de telles opérations pour atténuer les
impacts à long terme de la rupture de sa canalisation.
Améliorer la prévention et la coordination
Cet accident dramatique pour la biodiversité française a également soulevé de graves questions sur la fiabilité du réseau vieillissant des canalisations enterrées, et sur les moyens de prévention et de gestion
des accidents notamment dans les espaces naturels. Le site Natura 2000 de la Crau à lui seul est parcouru par 110 km de couloirs de pipelines, certains couloirs hébergeant 5 à 6 canalisations posées
pour la plupart entre 1955 et 1975.
Le CEEP et la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône ont commencé à travailler localement sur le retour d’expérience de l’accident de 2009 afin de mettre en place une meilleure prévention des
accidents en Crau. Des avancées ont également été acquises sur ce point à l’échelon national : lors de la présentation du « plan d’actions visant à maîtriser le vieillissement des équipements industriels » en
janvier 2010, la secrétaire d’État à l’Écologie a annoncé le doublement de la fréquence de contrôle pour les canalisations, et une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux pour les nouvelles canalisations. Gageons que ces engagements se traduiront pas des avancées concrètes.
Quant aux suites judiciaires données à cette affaire, on peut s’attendre à ce que la recherche des responsabilités dans l’accident du 7 août 2009 et l’indemnisation des parties civiles nécessitent de longues années d’instruction et de procès, comme ce fut le cas pour l’Erika. En attendant, tout va très bien, le pétrole coule à nouveau dans le pipeline SPSE…
Le CEEP (Conservatoire-Etudes des Ecosystèmes de Provence) est une association loi 1901 qui oeuvre pour la conservation de la diversité biologique des espaces naturels remarquables en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le CEEP utilise quatre outils : la maîtrise foncière et la maîtrise d’usage (achat de terrains, conventions), la gestion des espaces protégés, la connaissance scientifique et la valorisation (information et sensibilisation).
La Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône accueille et soutient les agriculteurs, les productions et les structures d’entreprises : développement technique et accompagnement économique de l’entreprise, aménagement du territoire, gestion de l’eau et de l’environnement, installation/ transmission d’exploitation,
promotion des produits et agritourisme…
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