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Tout pour ma gueule, tout de suite et après moi le déluge...

Conte d’après Noël pour enfants pas sages, par Guy Marigot

dimanche 12 mars 2006, par ab (JournArles)

Il était une fois, il y a longtemps, dans un lointain pays appelé Dômme, un nobliau, marquis de son état et « Roche Merdeuse » de son nom.
Monsieur le marquis de la Roche Merdeuse donc, était cultivateur, ou plutôt faisait travailler ses serfs. Durant de longues années, de par son âpreté et son avidité, il avait acquit de vastes surfaces qu’il s’était empressé de planter en pêchers.

Un jour d’octobre, en 917 exactement, arriva la Révolution. Après une brève période de tension, Mr le marquis décida d’abandonner son titre encombrant mais, trouvant que son nom était somme toute peu flatteur, préféra garder comme patronyme Mr Marquis. La Révolution, bonne fille un peu borgne et oublieuse, décida de fermer l’œil qui lui restait sur les extravagantes propriétés de Mr Marquis, à condition que le ci-devant rémunéra désormais ses serfs qui étaient devenus, de par la déclaration des droits de l’homme (et de sa femme), des citoyens.

Las, les immenses surfaces en mono culture et très haute densité de plantation, devinrent des systèmes écologiques aberrants où, malgré les abondants traitements en pesticides de toutes sortes, se multipliaient les foyers de bactéries et autres saletés résistantes à tout, y compris au pire. Et bien sur, un jour débarqua un affreux jojo de virus appelé sharka. Extrêmement contagieux, virulent et indestructible, ce salopiau eut tôt fait de déboiser les centaines d’hectares de vergers de Mr Marquis ainsi que ceux de ses voisins Dômmois.

Comme dans tous les systèmes concentrationnaires uniformes, les contagions furent foudroyantes.

Fâchés mais pas désespérés, Mr Marquis et ses confrères (nous sommes tous le frère de quelqu’un) s’avisèrent qu’à quelques centaines de lieues, se trouvait la Crue, qui, comme son nom ne l’indique pas, était une magnifique plaine sèche naturelle de type toundra, site privilégié de nidification d’espèces rares et de repos pour les migrateurs s’en allant, l’été, vers la Huibérie beaucoup plus au nord. « Qu’à cela ne tienne, nous on s’en fout des migrateurs et même des gratteurs. Nous, ce qui nous branche, c’est la culture de l’oseille ! ».

Aussi tôt dit, aussi tôt fait. A grand coup de tractobullopellochargeuse on nettoya toutes ces saletés pour en faire un désert, mais plat du moins celui là. Le sous sol de la Crue étant une ressource hydrologique importante, on s’empressa d’y pomper l’eau pour arroser les arbrisseaux. Et le merveilleux conte de Mr Marquis (et de ses frères) sur des milliers d’hectares recommença.

Las, lorsqu’on produit beaucoup il faut bien vendre, et là, on se trouve confronté à des gens qui n’ont pas de requin que le nom. En effet, les acheteurs, regroupés dans une confrérie appelée Gro$$distribution, avaient beau jeu de faire un permanent chantage à la baisse, sous peine d’aller voir ailleurs si j’y suis.
La seule solution que trouva Mr Marquis (et ses voisins), qui tenaient tout de même à gagner beaucoup d’argent, fut d’abaisser les coûts de production. « Comment ? Après avoir survécu à 917, aux serfs payants, à la sharka et au reste, on ne va pas se laisser emmerder ? ». --- « et s’il n’y en a qu’un sur le dos duquel on peut gratter, l’Arabien, on va pas se gêner. Celui là, s’il na pas compris d’où il vient, il va vite y retourner ».

A cette époque, en effet, personne ne voulant plus travailler pour ces nouveaux féodaux, comme quoi on devrait toujours choisir des Révolutions qui ne soient pas borgnes, Mr Marquis (et ses complices) avaient fait venir du Magreth, une contrée d’outre l’eau dévastée par les effets positifs du colonialisme, de pauvres paysans ruinés par les importations venant de l’étranger, appelés Arabiens. Ceux-ci acceptaient de travailler pour quelques roupettes, ce qui chez eux correspondait à plusieurs dizaines de roupies.

Durant quelques lustres, les choses se passèrent. Et puis, se disant que les sommes payées à ces gueux étaient certes négligeables, mais bon ! Après tout ... il fut décidé, pour le même prix, de les faire travailler plus. Et puis, ces Arabiens habitués à vivre en Arabisque dans des espèces de sortes de cahutes et cuisinant à l’huile de vidange frelatée qui empuantissait les environs, il fut décidé de les parquer dans des espèces de sortes de cabanes en tôles bien chauffées au mois d’août. Et puis, ces ingrats se mettant à râler, il fut décidé de les remplacer, petit à petit, par des Polonistes et des Equateux. Ces peuples, nouveaux sur le marché, n’avaient pas encore compris qu’à l’autre bout de la carotte il y avait un bâton.

Et là ! Badaboum ! grève générale.

Les Arabiens, qui en avaient marre et savaient qu’ils étaient foutus, soutenus par les confréries de travailleurs et par les ploucs du coin, qui eux avaient très bien compris qu’on peut vivre de l’agriculture sans faire chier tout le monde, les Arabiens donc, se mirent en grève en pleine récolte. Et là, au grand émoi du prévôt qui promit tout et n’importe quoi, de la presse à papier qui n’avait rien d’autre à faire et des tiers-mondistes émus, nos Arabiens se virent promettre quelques roupettes réparatrices ainsi qu’un billet sans retour pour où qu’il leur plairait. Mr Marquis, profondément déçu par l’ingratitude de ses gueux, déposa le bilan de ses domaines et décida d’aller investir et polluer la Roumagniole, pays naïf où les pauvres étaient sur place et où il serait accueilli à bras ouverts pouvant enfin reprendre son titre de Mr. de la Roche Merdeuse.

MORALITES

Facultatives

- La gauche, c’est du coté de la main qui ne sert pas à écrire (sauf pour les gauchers)

- Lorsque quelqu’un fait un gros caca devant chez vous et part sans tirer la chasse, prenez son adresse.

- Si vous voulez des infos sur le Mr Marquis de notre histoire, tournez la page.

- Si vous avez une bonne copine journaliste qui fait son boulot, évitez de cracher sur la presse à papier.

EPILOGUE

En juillet 2005, les 240 ouvriers maghrébins des sociétés de Mr Comte, produisant des pêches sur quelques 1800 hectares situés dans la plaine de la Crau, se mettaient en grève pour non paiement des salaires, conditions de logement ignobles et autres mesquineries pour le moins surprenantes de la part d’un agri-manager. A la suite du soutient apporté par les syndicats ouvriers solidaires, les syndicats de petits paysans, la presse qui s’est vraiment défoncée, les associations et les gesticulations du préfet de région ; les sociétés de Mr Comte durent faire, à reculons, amende inavouable.

Quelques jours après, le 28 juillet 2005, ces sociétés se déclaraient en cessation de paiement, déposaient leur bilan et demandaient un plan de redressement judiciaire.

Dans le même temps, le 17 août 2005, Mr Comte et sa famille créaient dans la Drôme, dont ils sont originaires, deux sociétés civiles immobilières, chargées de gérer, louer ou construire du patrimoine immobilier. Ces deux sociétés furent dotées respectivement d’un capital de 500 000€ et 1M500 000€. Toutes ces informations sont du domaine public.


Guy Marigot

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