« Faut-il relâcher le gene drive dans la nature ? Enjeux civilisationnels des « OGMs sauvages ? ».
Les auteurs de cet article passionnant, Baptiste Morizot, philosophe, maître de conférences, Université Aix-Marseille et Virginie Orgogozo, biologiste, directrice de recherche au CNRS, Institut Jacques Monod, expliquent que le gene drive est une application de la technique d’ingénierie génétique CRISPR, un « puissant propulseur de mutations » génétiques. Le gene drive est décrit comme
« une technique de manipulation génétique qui permet de booster la propagation d’une mutation dans une population. En relâchant simplement quelques individus qui possèdent une portion d’ADN élaborée par l’homme (appelée cassette « gene drive ») dans une population naturelle, on peut théoriquement obtenir en quelques dizaines de générations une population entièrement contaminée par la cassette gene drive ».
Élisabeth de Castex (Neuroéthique, justice cognitive, human enhancement) a publié sur le site ANTHROPOTECHNIE le résumé suivant :
D’emblée, dans le titre de l’article, le ton est donné : une technique révolutionnaire et des enjeux qui engagent l’avenir de notre civilisation. La nouvelle technique du gene drive, ou forçage génétique en français, très controversée par les biologistes, est encore très peu connue du grand public bien qu’elle ouvre des perspectives abyssales pour l’évolution des espèces vivantes. [...]
Le scénario technique de départ est écrit. Reste à examiner les enjeux pour la réalisation de ce « booster » génétique. A partir de là tout se complique. D’un côté, des perspectives extraordinaires de lutte contre des fléaux tels que le paludisme ou le SIDA. De l’autre côté, la fameuse Boite de Pandore. Que va-t-il se passer si le gene drive est relâché dans la nature ? Si ce pouvoir sur le vivant, exercé par les humains, court-circuite plusieurs millions d’années d’évolution pour des animaux, des plantes ou même les humains ?
Les auteurs mettent en avant les risques écologiques et sanitaires d’une technique qui nous échappe, les menaces d’usages malveillants ou encore tout simplement d’un usage dans l’intérêt d’un groupe d’humain particulier et à l’encontre d’un autre groupe. Un type de risque apparaît aux auteurs comme particulièrement plausible : la possibilité de conséquences inattendues liées à un usage bienveillant. Il faut savoir que cette technique est, selon les auteurs, d’un usage relativement peu cher, rapide et facile à reproduire pour des biologistes.
L’avènement de cette nouvelle technologie vient aussi bousculer l’idée d’une reconnaissance d’un droit fondamental des espèces sauvages à vivre pour elles-mêmes. « C’est le sens même de « naturel », ou « sauvage » qui est remis en cause par CRISPR et le « gene drive ». Les espèces naturelles ou sauvages étant ce qui existe par soi-même et pour soi-même, ce qui résiste à notre stricte volonté, i. e. dont les traits sont à son avantage et pas à notre avantage et à notre usage » préviennent les auteurs.
Ces derniers plaident pour un débat à la hauteur des enjeux de ce pouvoir inédit de « domestication de la nature », à leurs yeux prométhéen, myope et sans garde-fou. Certes, d’autres chercheurs objectent que, quelque soit la technique utilisée, les répercussions de mutations moléculaires à l’échelle des écosystèmes vivants ont toujours été, et seront toujours imprédictibles. Quoiqu’il en soit, les interrogations s’avèrent aussi nombreuses que la technique est révolutionnaire. Pour les auteurs, le débat est urgent.
http://www.anthropotechnie.com/la-technologie-gene-drive-
une-revolution-en-biologie/