Du plus loin que l’on témoigne de l’histoire des sociétés organisées, l’homme a été contraint d’établir un certain nombre de conventions, de règles pour rendre possible la vie ensemble. Selon les modes d’organisation successifs ses règles ne font jamais l’unanimité : le fait du prince sous la monarchie, l’expression des plus nantis en aristocratie ou celle du plus grand nombre en démocratie. Dès lors, la tentation existe pour certains sujets de ne pas s’y résoudre, s’y soumettre, d’y résister, de s’y opposer, voire de les transgresser.
Cette transgression peut être d’origine ou de nature aussi différente que l’inadaptation sociale, le sentiment d’injustice, le dérapage passionnel ou l’intérêt particulier d’un individu au détriment de la collectivité. Se pose alors la mise en danger du groupe social, lequel pour se protéger doit réagir. Quelles réponses s’offrent alors au groupe à l’encontre du « déviant » ? La vengeance, la mise à l’écart momentanée, l’élimination ou la recherche d’une démarche de rachat, de réparation du sujet vis-à-vis de la société, de ses victimes et de lui-même.
Longtemps dans nos civilisations dites avancées, la sanction et la punition se sont exprimées par la violence physique, les châtiments corporels, les supplices de toutes sortes.
Dans ce domaine, les hommes ont rivalisé d’invention, de cruauté voire de barbarie. Faut-il y reconnaître la marque de nos cultures judéo-chrétiennes où la culpabilité, la douleur et la souffrance font partie des éléments fondateurs ?
Toujours est-il qu’il faudra attendre le XVIIIe siècle où sous l’influence des penseurs des lumières et de leur idéal émancipateur, cette violence assumée, souvent érigée en spectacle, va peu à peu s’estomper. Michel Foucault parle du « passage du supplice des corps au châtiment des âmes » et de l’émergence progressive de la conception républicaine de l’enfermement ; sanctionner, réparer, réinsérer. Aux embastillements, cachots, bagnes et geôles de l’ancien régime vont succéder des lieux d’enfermement plus « sophistiqués », plus adaptés à la détention prolongée. La conception utilitariste de la Société se met en place à partir de théoricien comme Jérémy Bentham qui conçoit les prisons panoptiques, exemple même d’une surveillance constante et psychologique. Les fondements du libéralisme venu d’Angleterre apparaissent ; quadriller, contrôler, mesurer, dresser les individus, les rendre dociles et utiles. Aujourd’hui encore la prison est à replacer dans cette société de contrôle social.
Il faudra toutefois attendre cent ans de plus pour que le pays des droits de l’Homme se débarrasse de l’acte barbare et dégradant que représentait la peine capitale.
Aujourd’hui en France, les raisons invoquées pour enfermer systématiquement et de plus en plus longtemps sont multiples, mais dans l’argumentation des politiciens intéressés et même dans une opinion publique façonnée par les mêmes à travers des médias complaisants, l’argument majeur est la dissuasion, la punition comme protection dissuasive contre la délinquance.
Est-ce que cela fonctionne vraiment ?
Aux dires de beaucoup d’observateurs, praticiens et autres chercheurs des comportements humains, l’effet dissuasif ne peut jouer son rôle seulement dans le cas d’un fonctionnement conscient du délinquant, lorsque le contrat social est accepté de part et d’autre. Or la transgression est une manière en soi d’exister pour une population dont la délinquance est souvent liée à des difficultés de nature existentielle, familiale, économique, sociale, culturelle, lesquelles sont la cause même d’une opposition à l’ordre établi, de la violence assumée face à l’indifférence, au rejet ou à la discrimination que génère la société à leur endroit. Du coup, la logique de dissuasion ne tient plus, pire elle s’exerce à l’inverse. Qu’est-ce que la dissuasion en matière de criminalité ? Comment croire qu’un délinquant au moment du passage à l’acte va prendre en compte le risque d’aggraver la peine encourue. Les délinquants ne sont pas des criminologues. Cette peine n’est qu’un des éléments de la dissuasion, efficace surtout vis-à-vis de personnes conscientes et responsables. Autrement dit, pour les honnêtes gens… Quand on sait que la population carcérale est aujourd’hui constituée surtout de personnes affaiblies, sous dépendance d’alcool, de stupéfiants, où les malades mentaux (soit qu’ils l’étaient avant, soit qu’ils le deviennent en détention) représentent près de 30 %. Si l’on ajoute le niveau culturel très bas, avec un taux d’illettrisme proche de 20 %, il s’avère que le rapport de conscience est bien insuffisant pour que s’opère le principe de dissuasion.
Freud ne disait-il pas en son temps « Eduquer les consciences plutôt que les punir ».
Alors les vraies questions se posent : Pourquoi la prison ? Pour qui la prison ? Quel est le sens des peines ? Quelle alternative à la prison ?
La prison pourquoi ?
Comme un rappel de la loi, comme un rempart à la société, comme un devoir moral à la mesure de l’exigence que l’homme porte en lui, comme un moyen de protéger les intérêts particuliers et les rapports de force sociaux des pouvoirs en place ou comme phénomène de compensation en regard de la place de plus en plus présente des victimes dans le processus pénal ?
A propos des victimes, si leur place nous paraît légitime et même utile à une bonne appréhension de la Justice, rien ne garantit que la douleur infligée au coupable soit de nature à alléger leur souffrance. Quoi qu’il en soit, la vengeance et l’expiation ne peuvent trouver leurs places dans une conception républicaine de la Justice. De plus il y a lieu d’être sceptique quant à la tendance avérée vers une juridicasisation excessive de nos sociétés avec comme point d’orgue le mythe légendaire du risque zéro, leurre récurrent et démagogique conduisant vers une société toute procédurière qui n’a de libérale que ses dérives matérielles et mercantiles. Au fond, la Justice ne peut en aucune façon se laisser entraîner vers les mouvements passionnels ou compassionnels d’une opinion publique sous l’emprise de médias rarement à la hauteur de l’éthique qui convient.
La prison pour qui ?
Les statistiques parlent d’elles-mêmes : le pauvre va plus souvent en prison ; il y reste plus longtemps ; ses conditions de détention y sont plus dures ; il a peu de chances de se réinsérer dans la société. 80 % des détenus sont issus des classes défavorisées (ouvriers, déclassés, chômeurs, précaires, immigrés etc…) : Les détenus « en col blanc » représentent moins de 3 % : les crimes de sang, moins de 5%.
Doit-on alors parler de la prison comme la fin du processus de l’exclusion sociale, entreprise d’élimination des classes dangereuses, improductives, marginales, sciemment opérée par une société qui n’a d’autres ressources que d’enfermer celles et ceux qu’elle a exclu : jeunes des quartiers sensibles, étrangers, sans-papiers, sans abris, sans ressources, ces populations dites « à risques », ces laissés-pour-compte de l’idéologie néo-libérale, laquelle se débarrasse peu à peu des charges de l’Etat solidaire pour ne garder que ses prérogatives régaliennes et en particulier celles de l’Etat policier et punitif. Ce modèle de société planifié et expérimenté aux Etats-Unis (2 millions ½ de prisonniers) pas de véritables théoriciens de la répression a gagné l’Europe par l’Angleterre des années Thatcher. Il est mis en place aujourd’hui en France par des populistes indignes qui après avoir crée et entretenu la peur dans les populations, proposent clef en main, la solution du tout répressif. « La meilleure des préventions, c’est la répression ». dixit Sarkozy.
Le sens de la peine
La peine n’a de sens que si elle est comprise, admise par le condamné, si elle lui paraît « juste ». Sa légitimité dépend de la façon dont il la perçoit, comment il peut en devenir l’acteur et partant, comment il trouvera la force de l’assumer, de retrouver ou de trouver son destin. Pour cela, l’administration pénitentiaire doit proposer les conditions où il pourra investir cette peine, se l’approprier de manière à entamer une démarche de réparation pour ses victimes, pour la société et pour lui-même. Or dans l’hystérie actuelle du tout enfermement, les détenus ressentent leur peine, à tort ou à raison, comme une vengeance de la société et cela ne peut qu’aggraver leur rupture. Que ce soient les courtes peines (50 % de la population carcérale) lesquelles pourraient être évitées, ou les longues peines dites d’élimination, lesquelles s’opposent par leur caractère définitif et démesuré à toute forme de rachat en tuant tout espoir de rédemption, notre société est bel et bien engagée dans un processus négatif et contre-productif. Il est d’ailleurs dénoncé régulièrement, en particulier l’état des prisons et les conditions indignes d’incarcération, par les observateurs qui vont des commissaires Européens successifs aux parlementaires de tous bords et par tous ceux qui de près ou de loin portent un regard objectif sur les conditions d’enfermement en France.
« Les prisons françaises sont une humiliation pour la république »
- Prison pour mineurs
La peine n’a de sens que par la prise en compte de l’individualisation, de la personnalisation, de l’étude du contexte toujours particulier. A cet égard, l’esprit même des peines automatiques (peines planchers) récemment votées vont provoquer, à n’en pas douter des dégâts considérables. L’application de ces lois pourrait envoyer dès la première année 10 000 personnes de plus dans des prisons déjà très largement surpeuplées. En outre, la justice pénale devient une machine à punir, indifférente aux réalités des personnes qu’elle est amenée à juger. Elle s’oppose donc outrageusement au sens de la peine. Pourtant l’arsenal juridique français comporte suffisamment d’outils de répression, à moins de considérer le pays comme le symbole du laisser-faire ; mais alors, quel aveu d’échec du pouvoir en place après tant d’années du tout répressif !
Cette déplorable simplification a eu son effet électoral. Nous ne tarderons pas à en mesurer les conséquences.
Que pense-t-on réparer en détruisant ?
Quelle alternative à la prison ?
Explorer les alternatives à l’incarcération suppose un rapport de confiance avec le justiciable, sous-entend que l’homme n’a pas de prédestination, qu’il est transformable, amendable, récupérable, or la virulence démagogique des récentes campagnes électorales et le durcissement des lois annoncées désignent une partie de la société comme criminogène.
Pourtant les alternatives existent : travaux d’intérêt généraux, surveillance électronique, privation des droits, sursis, jours amendes, interdiction bancaire, injonction de soins médicaux, placement en milieu ouvert, mesures éducatives, etc… Hélas, l’esprit même de ces peines est détourné de son sens. Les tribunaux infligent une peine principale (prison) plus une peine alternative. Du coup, elles ne sont plus considérées comme substitution mais comme complémentaires à la prison. Leur application nécessite un véritable investissement de la part de l’Etat. Cela relève d’un vrai choix de société. Aujourd’hui, les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation, chargés de la mise en place des mesures alternatives prononcées par les tribunaux ne disposent pas des moyens à la hauteur de leurs missions.
Devant l’aberration de la prison préventive (50 % des détenus font moins d’un an de prison), véritable déni du concept de présomption d’innocence, devant la politique de plus en plus restrictive des remises de peine, pourtant de nature à entretenir l’espoir en détention, devant la frilosité en matière de liberté conditionnelle, seule façon acceptable de sortir de prison avec un taux de récidive très faible, on constate le chemin qui nous sépare du bon sens, de l’intelligence et de l’élémentaire fraternité qui faisait dire au père Hugo « Construisez des écoles et vous viderez les prisons ».Cet adage, bien que vieux d’un siècle et demi demeure d’une brûlante actualité .
Au-delà de ces constats, la L.D.H. entend poursuivre et intensifier son rôle d’observation, de vigilance, de propositions et d’actions concrètes dans les prisons.
L’enfermement qui n’est qu’une privation de liberté doit devenir l’affaire de tous, élus, professionnels, citoyens, etc.
Nous devons aider les collectivités territoriales à s’impliquer dans la substitution à l’incarcération en proposant des T.I.G. ou des réinsertions de détenus dans la société, en particulier dans le monde rural. L’arbitraire qui règne à l’intérieur des murs doit être dénoncé par les médias, la société civile, les élus, etc. Les lieux de détention doivent devenir des lieux de citoyenneté.
Alors, la confiance en l’Homme qui nous anime encore nous permettra d’espérer que la formule lapidaire de M. Foucault : « La prison, cette détestable solution dont on ne saurait faire l’économie » comporte une marge d’évolution. Osons proposer : la prison, cette détestable solution dont on saura un jour faire l’économie.
Christian Cabane
Bibliographie
1. Ligue des droits de l’Homme Commission Prison
2. Observatoire international des prisons (O.I.P)
« Les états généraux de la condition pénitentiaire »