EN décembre dernier, le Conservatoire du littoral, dont on sait qu’il protège les portions de littoral qu’il acquiert peu à peu, rachète à la Compagnie des Salins du Midi 173 hectares en Camargue. Ce qui porte à 6 800 hectares les terres qu’il y possède désormais, acquises avec l’aide de l’Etat et de l’Europe. Total de la facture : 60 millions. Tout ça pour quoi ? Pour protéger, entre autres, l’étang du Fangassier, unique lieu en France et en Europe où se reproduisent les flamants roses. Mais il y a une plume dans le potage... L’eau qui alimente cet étang arrive via le canal du Versadou puis l’étang des Enfores de la Vignole. Cinq prélèvements y ont été effectués par le Conservatoire lors d’une étude qui a duré un an et a coûté 35 000 euros. Et les résultats, tombés à la fin de l’été dernier, sont moins roses que les flamants :
l’eau y est si polluée que, "à côté, le Rhône, c’est de l’eau de source"
dixit un technicien ! Outre des traces de PCB, l’étude révèle des taux excessifs de pesticides, dont certains, comme l’atrazine ou le diméthénamide (26 fois au-dessus des normes 1), sont interdits depuis dix ans. A qui la faute ? Aux riziculteurs, qui représentent 90 % de l’activité agricole en Camargue. Mais, loin de leur réclamer
des comptes, l’Etat a demandé au Conservatoire d’organiser en toute discrétion,
ce 10 janvier, une simple « concertation », Ce qui a rendu furax ses techniciens,
lesquels ont coupé les vannes vers l’étang des flamants. Or 12 000 couples y nichent
chaque printemps, et, sans un niveau d’eau suffisant, " la reproduction des flamants risque de ne pas se faire ", explique François Fouchier, directeur du Conservatoire. A terme, les volatiles pourraient aller nidifier ailleurs .. .
"Nous voulons juste discuter avec les agriculteurs pour de meilleures pratiques" ,
plaide François Fouchier. De quoi irriter Bertrand Mazel, président du Syndicat des riziculteurs : "Comme on est contrôlés, on n’a pas intérêt à frauder ! Quant aux autorisations de pesticides, il n’y a aucune harmonisation européenne. Allez expliquer à un riziculteur qu ’il n’a pas droit à tel produit tandis qu’en Espagne c’est possible ! " Tout en condamnant les « brebis galeuses » qui ont pollué, ce riziculteur
se dit sceptique sur des analyses " faites en période de lessivage des sols, un peu
comme des statistiques sur l’alcool un soir de réveillon ". Et accuse : « Comment l’Etat a-t il pu acheter ce terrain sans s’assurer d’une arrivée d’eau ?" Voilà le hic : pour alimenter l’étang des flamants, la Compagnie des Salins n’a jamais utilisé le canal du Versadou, mais ses propres pompes à eau. Et elle est partie avec ! Au Conservatoire de se débrouiller pour alimenter son étang.. . « Nous ne donnerons
pas cette soupe infâme aux flamants ", prévient le Conservatoire. Pourquoi alors ne pas dépolluer le canal ? « Laissons faire la nature ", répondent en chœur les riziculteurs, le maire d’Arles (président du parc naturel régional).. . et le Conservatoire.
Son directeur : « Nous n’avons pas à dépolluer ce que nous n’avons pas pollué. "
Reste un problème, politique, qui fera peut-être changer d’avis les élus, selon ce
technicien du Conservatoire :
« Si les flamants partent s’installer dans le Gard.. . sur les terres de la Compagnie des Salins ! Pour l’espèce ce n’est pas grave, mais pour les élus ce serait une tragédie. »
Une Camargue vidée de ses flamants roses, qui préfèrent le privé au public : elle serait cher payée, la carte postale !
Source Canard enchaînée
Professeur Canardeau