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Voltaire

« La bonne politique a le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres »

Quand des paysans africains rencontrent des paysans thailandais

mardi 8 janvier 2008, par Forum Civique Européen

Nous pensions qu’en Thaïlande les producteurs de riz vivaient bien ; que la vente de leur production de riz leur rapportait des revenus convenables. Aussi, quel choc quand les paysans de la province de Chai Nat (à environ 150 km de Bangkok) nous ont dit qu’ils étaient presque tous endettés. Que la plupart avaient même dû vendre leur terre pour payer une partie de leurs dettes. Qu’aujourd’hui, dans leur province, seuls 20 % des paysans étaient propriétaires de leurs terres.
Nous avons cherché à comprendre.

Rencontre entre producteurs de riz thaïlandais et ouest-africains... Ou de la difficulté pour un paysan de vivre dignement de son travail

Du 26 novembre au 5 décembre 2007, j’étais en Thaïlande avec quelques producteurs de riz du Ghana, du Mali et du Burkina Faso. Nous étions invités par les producteurs de riz thaïlandais qui avaient participé au Forum Mondial de la Souveraineté alimentaire qui s’est tenu au Mali en février dernier. Nous étions tous pressés de rencontrer ces paysans qui inondent le marché de l’Afrique de l’Ouest de leur riz.
En arrivant, nous pensions qu’en Thaïlande les producteurs de riz vivaient bien ; que la vente de leur production de riz leur rapportait des revenus convenables. Aussi, quel choc quand les paysans de la province de Chai Nat (à environ 150 km de Bangkok) nous ont dit qu’ils étaient presque tous endettés. Que la plupart avaient même dû vendre leur terre pour payer une partie de leurs dettes. Qu’aujourd’hui, dans leur province, seuls 20 % des paysans étaient propriétaires de leurs terres.
Nous avons cherché à comprendre.
Les paysans nous ont expliqué qu’ils étaient endettés parce que (dans cette région) faisant trois récoltes par an, dès qu’une saison de culture se terminait, il leur fallait vendre rapidement une bonne partie de leur riz pour payer les intrants pour la nouvelle saison : engrais chimiques, pesticides. Et comme cela ne suffisait pas, ils empruntaient également aux banques. Si, pour une raison ou une autre, la récolte étaient moins bonne que prévu, alors ils n’arrivaient pas à rembourser.

Nous avons dit notre étonnement, car nous pensions que chaque année le gouvernement fixait un prix garanti pour la vente du riz paddy (le riz avec son enveloppe, tel qu’il est récolté dans les champs). Les paysans nous ont dit que ce prix garanti existait bien, mais qu’il ne les satisfaisait pas pour deux raisons. D’abord parce qu’il était trop faible (souvent moins de 70 F CFA le kg, soit 11 centimes d’euro), et aussi parce qu’il était fixé trop tard (après la récolte, au moment où les paysans ont déjà vendu la plus grande partie de leur récolte à cause de besoins pressants d’argent, notamment pour ceux qui font 3 récoltes par an !).

Notons que ce prix est fixé par le gouvernement en accord avec les banques et les commerçants. Pas en accord avec les paysans !

Le lendemain, nous étions plus au nord, dans le district de Nenkam, avec des paysans qui cultivent le riz pluvial (et font donc une saison de culture par an), mais aussi la canne à sucre.
Là aussi, les paysans nous disaient qu’ils étaient endettés. Parce que le riz paddy se vendait à un prix très bas : 5 à 6 bats le kilo (67 à 80 F CFA). Et aussi parce que pour la canne à sucre, ils dépendaient entièrement de l’usine locale.
En effet, chaque paysan cultive la canne à sucre dans ses champs, et ensuite la livre à l’usine qui impose ses prix ! Un paysan nous a expliqué que l’an dernier l’usine lui a payé sa récolte à 800 bats (environ 16 euros) les 100 kg ( ?), mais que cette année l’usine n’a « offert » que 600 bats ! Cette baisse du prix d’achat serait due à l’augmentation de la production, elle-même due à l’annonce de l’ouverture d’une usine devant fabriquer du carburant à partir de la canne à sucre. Mais l’usine n’est toujours pas ouverte !
A l’étape, au moment de partager le repas du soir, nous échangions sur ce que nous avions vu et entendu. Nous nous disions que partout dans le monde, le métier de paysans n’est pas facile ! On s’intéresse bien à sa production, mais on ne veut pas la payer un juste prix. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, Voltaire ne disait-il pas « la bonne politique a le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres » ? (Voltaire, philosophe français, 1694 - 1778).

Existe-t-il un pays au monde qui défende vraiment ses paysans ?


Nous nous disions également qu’il fallait nous unir pour mieux nous défendre. Et aussi pour chercher ensemble des alternatives. Et cela, non seulement à l’intérieur de chaque pays, mais aussi au niveau mondial. Et tout au long du voyage, notre désir de développer des liens entre paysans thaïlandais et paysans ouest-africains allait grandissant. Ce désir de coopération s’est renforcé le jour où nous avons rencontré un groupement de paysans qui avaient abandonné l’usage de tous les produits chimiques (engrais, pesticides) pour se tourner vers la culture biologique, et cela avec des résultats remarquables.

Avant, j’utilisais les produits chimiques... et je me suis endetté !

Au Sahel déjà, j’ai eu souvent l’occasion de constater qu’un bon paysan est également un chercheur. J’ai vu comment, au moment de la récolte, les paysans sélectionnent les meilleurs épis de mil pour la semence de la prochaine saison de culture. J’ai vu qu’ainsi les paysans du Sahel possédaient une véritable banque de semences de mil. J’ai vu aussi comment, dans un même village (mais aussi d’un région à l’autre), ils s’échangeaient ces semences. Mais en Thaïlande, nous avons découvert de véritables paysans-chercheurs.
Pour sortir de l’endettement dans lequel la révolution verte les a entraînés, les paysans se sont organisés pour chercher des alternatives, et ils ont créé la Fédération pour l’Agriculture Alternative (AAN - Alternative Agriculture Network). Nous sommes allés à la rencontre de quelques-uns d’entre eux.

Le premier décembre 2007, nous avons été reçus par un groupement de producteurs de riz de cette Fédération. Nous avons rencontré des paysans enthousiastes, fiers de leur travail de recherche. Ils nous ont initiés à leur méthode de sélection des semences. Comme partout, ils commencent par sélectionner de beaux épis de riz. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Ils poursuivent en sélectionnant les grains de riz, un par un, et de façon minutieuse. Une méthode qui exige de bons yeux ou l’utilisation d’une loupe. Ces graines permettront de produire des semences pour trois saisons de culture. C’est un travail qui se poursuit sans cesse ; toujours à la recherche de variétés plus résistantes, ou qui donnent un meilleur rendement, ou encore plus adaptées au goût des consommateurs. Les paysans rencontrés nous ont initié - avec joie et fierté - à ce travail de précision.
Nous avons fait plusieurs visites sur le terrain. Souvent, nous avons entendu le propriétaire du champ nous dire : « Avant, j’utilisais les produits chimiques... et je me suis endetté. » Puis il poursuivait par ces mots ou d’autres semblables : « Aussi, quand on m’a proposé de rejoindre un groupe de paysans qui cherchaient ensemble comment sortir de cet endettement, j’ai été intéressé. Je n’étais pas certain des résultats, mais j’ai voulu essayer. »
« Aujourd’hui, nous faisons nos propres recherches. Chaque semaine, nous passons trois heures ensemble. Nous partageons nos propres observations. Peu à peu, nous découvrons par nous-mêmes que nous n’avons plus besoin d’engrais chimiques ni de pesticides. Nous avons mis en place un processus de recherche. Nous faisons et nous partageons nos propres expériences. En plus de cela, nous bénéficions du suivi et des conseils de la Fondation Khao Kwan (Khao Kwan Foundation). Grâce à ce travail, j’ai pu payer mes dettes, et j’ai même acheté quelques rais de terre (ou raï - mesure de surface de 1 600 m², soit un carré de 40 m de côté). »
Très intéressés, et conquis par l’enthousiasme et la fierté de ces paysans, nous nous sommes rendus à la Fondation Khao Kwan où nous avons rencontré le professeur Daycha Siripatra.
Il nous a confirmé qu’il était tout à fait possible de se passer entièrement d’intrants chimiques (engrais, herbicides et pesticides chimiques) et d’avoir d’aussi bons rendements (voire meilleurs !) qu’avec les « produits chimiques » qui profitent plus aux multinationales qu’aux paysans ou aux consommateurs.

Il nous a indiqué qu’il fallait travailler sur trois facteurs :
1. La semence 2. L’engrais contre les nuisibles (insectes ou parasites) 3. La lutte

1. Pour la semence, il faut savoir qu’il existe plus de 10 000 variétés de riz (fruits - pour l’essentiel - du travail des paysans). Les multinationales sélectionnent (ou élaborent) celles qui ont de bons rendements avec les produits chimiques qu’elles commercialisent.
Rien n’empêche les paysans de sélectionner celles qui n’ont pas besoin de produits chimiques !

2. L’engrais chimique peut être avantageusement (avantages pour les paysans, pas pour les multinationales, et apparemment pas pour l’Etat qui ne soutient guère cette recherche) remplacé par un engrais organique. C’est alors que le professeur nous a confiés à un paysan pour suivre une petite initiation ( voir la galerie photo Thaïlande - engrais organique).

3. Enfin, il nous a rappelé que les insecticides tuaient « les bons insectes » autant que les nuisibles. Une alternative aux insecticides des multinationales est donc de cultiver une variété de riz résistante aux insectes et parasites nuisibles et, en même temps, de favoriser la reproduction de bons insectes pour rétablir un équilibre où les insectes qui se nourrissent des insectes nuisibles dominent.

Nous aurions beaucoup à dire sur ces rencontres avec ces paysans-chercheurs. J’espère y revenir dans un proche avenir. Sachez déjà que les producteurs africains, que j’ai eu le privilège d’accompagner, sont rentrés au pays enthousiastes, et bien décidés à devenir, eux aussi, des paysans-chercheurs, et à introduire la culture biologique du riz dans leurs rizières.

Koudougou, le 20 décembre 2007
Burkina Faso
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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