Depuis les premières lois sur la commercialisation des semences dans les années 1960, le marché des semences est devenu un commerce international contrôlé à 57% par les dix plus grandes transnationales de la semence.
Hormis les milieux spécialisés, personne n’a été informé à ce jour des projets de modifications légales dans l’UE et de leurs enjeux. Ce sont surtout les plus grands groupes semenciers et agrochimiques du monde - Bayer, Monsanto, BASF, Syngenta et Limagrain - qui exercent leur influence sur ce projet.
Antécédents
A ce jour, la circulation des variétés non enregistrées n’était pas réglementée dans la plupart des pays. En 2008, l’UE a promulgué une directive concernant ce domaine spécifique. Celle-ci concerne toutes les « variétés régionales » et « variétés menacées de disparition », la plupart des variétés de cultures biologiques, les semences obtenues par les agriculteurs-trices et les mélanges qui ne tombent pas sous la « Protection des variétés ». Les organisations oeuvrant pour la conservation de la diversité et pour une agriculture écologique ont certes été consultées lors de la phase de préparation, mais il ne reste quasiment rien de leurs suggestions.
Cette directive sur les « variétés de conservation » - c’est son nom officiel - ne répond guère aux objectifs qui sont d’enrayer l’appauvrissement de la biodiversité, et la simplification de la bureaucratie. Elle impose une série d’obligations administratives pour la diffusion des variétés non enregistrées jusqu’alors sur les listes nationales. Trois exigences sont particulièrement absurdes et demandent des tâches de contrôle disproportionnées :
la preuve de l’importance d’une variété pour la conservation de la diversité végétale ;
- la restriction régionale pour la production de semences dans la région d’origine ;
la restriction quantitative de leur culture en pourcentage des variétés commerciales courantes.
D’un côté, la directive européenne sur les variétés de conservation permet enfin aux cultivateurs-trices d’enregistrer des variétés pour l’agriculture biologique. Mais de l’autre côté, elle érige pour cela des barrières bureaucratiques et menace de mettre un terme à la diffusion des variétés non enregistrées.
Cette démarche vise à empêcher que des semences alternatives puissent concurrencer ne serait-ce qu’une partie du marché de l’industrie semencière.
Cette directive a des effets dévastateurs dans des pays tels que la Turquie ou la Roumanie, où une grande partie des variétés courantes ne figure pas sur les listes de l’UE et où les paysans produisent eux-mêmes leur semence.
La directive de « conservation » édictée par l’UE deviendrait, dans d’autres parties du monde, une véritable « directive d’interdiction » pour toutes les semences du pays.
Même chez nous, elle a pour effet que la diffusion de la diversité des semences se limitera à quelques variétés pour lesquelles les charges d’enregistrement seraient amorties. Cette « directive sur les variétés de conservation » devra être transcrite en droit national par tous les pays d’ici juillet 2009.
Des droits sur toutes les plantes cultivées ?
Dans les négociations actuelles, les grands groupes semenciers exigent que les Etats verrouillent leurs « droits de propriété intellectuelle » sur les variétés. De leur point de vue, environ 40% du marché européen des semences leur échappe encore du fait de la multiplication (utilisation de semences issues de récolte) et de la culture de variétés non inscrites au catalogue.
Les manipulations génétiques offrent à l’industrie une solution idéale, car les variétés OGM peuvent être brevetées et clairement identifiées sur le terrain. Les agriculteurs-trices sont liés contractuellement et l’industrie peut porter plainte à tout moment pour culture illégale à leur encontre, si l’on peut prouver l’existence de traces de ces semences brevetées dans leurs champs. Les procès de Monsanto contre l’agriculteur Percy Schmeiser au Canada sont parmi les cas les plus connus. En Europe et dans de nombreuses autres régions du globe, la technique génétique se heurte à une large opposition, si bien que la privatisation des semences n’avance que lentement sur cette voie.
C’est la raison pour laquelle ces grands groupes veulent étendre les avantages des brevets aux plantes non génétiquement modifiées. Ils réclament à l’UE :
l’extension des avantages de la législation sur les brevets aux variétés existantes par l’autorisation d’identifier toutes les variétés sur champ grâce à des marqueurs moléculaires ;
la possibilité pour l’industrie des semences de faire elle-même les études exigées avant l’inscription de chaque nouvelle variété ;
l’interdiction des semences paysannes et de la reproduction de semences par les paysans au motif de distorsion de la concurrence et de risques sanitaires ;
le prolongement de 25 à 30 ans du monopole de leurs droits sur une variété admise.
L’agriculture serait alors totalement dépendante des quelques groupes semenciers qui maîtrisent actuellement le marché mondial et qui - ce n’est pas un hasard - sont aussi les plus grandes industries chimiques. Le choix des variétés est déterminant pour la consommation d’engrais chimiques ou de pesticides, de solutions nutritives artificielles dans la culture maraîchère et du besoin en eau. Aujourd’hui, les agriculteurs-trices qui se sont engagés dans cette dépendance dépensent cinq fois plus pour les engrais chimiques et les pesticides que pour les semences elles-mêmes.
L’exigence du démantèlement d’un contrôle étatique avant la mise en vente des variétés et l’introduction de la législation sur les brevets dans la protection de variétés existantes facilitent les manipulations artificielles du matériel génétique lors de la culture. En outre, il s’agit d’une entrave à une véritable information du public et à la protection des consommateurs-trices vis-à-vis de conséquences inconnues pour la santé.
Des groupes semenciers ont déjà déposé des brevets sur des plantes non génétiquement modifiées. Quelques exemples sont la « tomate non ridée » (EP 1069819 B1) et un melon à la teneur en sucre particulièrement élevée (EP 1587933 B1). Un large front de protestation s’est élevé contre tous ces enregistrements de brevets. Par l’introduction du brevet dans le droit sur les semences, toutes les plantes cultivées pourraient être brevetées d’un seul coup et la résistance contre chaque brevet deviendrait inutile.
La situation mondiale actuelle
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons informer d’ici 2010 autant de personnes que possible en Europe sur les implications de la directive de l’UE sur les semences. Nous ne voulons pas que les groupes semenciers et les représentants de l’Union européenne négocient dans le secret. Pour influencer la législation, nous devons clairement afficher nos objectifs.
Les plantes cultivées qui nous ont été transmises par les générations précédentes sont essentielles à notre autonomie alimentaire. La législation sur les semences doit aussi affirmer sa volonté de conserver ce trésor. Plutôt que la monoculture de plantes très sophistiquées, il faut encourager les variétés adaptées aux conditions régionales. Cela signifie une diversité des variétés au lieu d’un « marché mondial » pour quelques-unes d’entre elles. C’est pourquoi il faut développer et introduire des instruments d’encouragement et de financement pour la culture de variétés adaptées à leur région.
L’agriculture doit réduire sa forte consommation d’énergie, à commencer par les semences. Elle doit donner la priorité à la fertilité du sol et profiter des plantes qui fixent le CO2 plutôt que celles qui produisent du protoxyde d’azote suite aux surdoses d’engrais chimiques, détruisant le sol et l’atmosphère. Nous toutes et tous devons veiller à retrouver une autosuffisance régionale aussi élevée que possible, puisque le système de transport des aliments sur la planète peut être qualifié d’insensé, ne serait-ce que du point de vue de sa consommation d’énergie.
Ce sont là des objectifs ambitieux. Leur mise en oeuvre commence par la restitution inconditionnelle aux agriculteurs-trices de leur droit à conserver des semences issues de leur récolte, comme ils l’ont fait pendant des millénaires. Il en va de la capacité des plantes à s’adapter aux conditions locales. Il n’y a qu’ainsi que la diversité des végétaux pourra redevenir une des bases de notre alimentation.
Il faut ancrer ces objectifs dans la législation européenne sur les variétés ; la politique de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) doit être modifiée en ce sens à l’échelle mondiale, afin que les droits des agriculteurs-trices soient garantis.
Depuis 40 ans, l’industrie de la chimie et des semences prétend combattre la faim dans le monde avec sa « révolution verte ». Pourtant, le nombre de personnes sous-alimentées n’a jamais cessé de croître et la consommation d’énergie a explosé. Il y a un an, le rapport sur l’agriculture mondiale IAASTD de la Banque mondiale - rédigé par plusieurs centaines de scientifiques du monde entier - a établi que les petit-e-s paysan-ne-s apportaient la contribution la plus importante à l’alimentation de la planète. Ce rapport exige un virage en matière de politique agricole.
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Manger sans paysans - la fin de la culture paysanne ?
sur ce site.