« Un effet de série factice »,
Selon une éminente brosse à reluire de l’Agence de Sûreté Nucléaire... « Aucun lien entre les incidents survenus … sur des établissements dépendant d’exploitants différents » ; Et la vallée du Rhône qui en sera une fois de plus la poubelle, c’est pas un lien ? Et notre bien aimée AREVA qui gère la synergie de ces trois filiales foireuses de son empire, c’est pas la french connection du tout-nucléaire ? A la niche, les chiens de garde publicitaires !
- Il y a des tas malentretenus à Tricastin
Avec le recul, nous comprenons mieux l’entretien que nous avons eu avec la directrice Corinne Castanier de l’ONG indépendante de Valence, après la conférence de la CIGEET, le 18 juillet dernier [1] Depuis sa fondation en 1986, après l’incroyable campagne de désinformation qui a cherché à couvrir la catastrophe de Tchernobyl, la CRIIRAD n’a cessé d’instruire le dossier de « la pieuvre française du nucléaire ». Par dizaines les rapports de son laboratoire ont analysé ses agissements en France et dans les pays de son irrésistible expansion. Sa stratégie se résume en quelques mots :
leadership mondial et pollution durable
.
Ce qui s’est passé le 7 juillet n’est pas l’exception accidentelle qui confirme la règle, mais la logique récurrente d’une hypersociété engagée tout azimut dans l’impitoyable concurrence où s’affrontent les grandes seigneuries du nucléaire (Westinghouse, Atomstroyexport, Siemens, China Guangdong Nuclear Power Corp, etc… ). Revenons par exemple sur le sérieux incident de Tricastin. Il est symptomatique de l’incurie et de l’opacité chroniques qui caractérisent nombre de secteurs d’AREVA.
Il y a des années que la CRIIRAD a localisé sur le site de Tricastin, une aire protégée par le secret militaire, l’INB-S, [2] productrice du combustible des armes de la force de frappe française (uranium fissible et isotopes divers).
Entre 1964 et 1996, l’ancienne entreprise a entreposé les résidus de ses traitements dans une décharge à ciel ouvert. Cette voirie, en infraction avec toutes les normes de sécurité, a généré une butte de 6 mètres de hauteur où l’on a entassé 770 tonnes de « barrières de diffusion » (filtres poreux de séparation de l’uranium naturel), de gravats, de métaux radioactifs , boues chromiques, fluorures etc… à même le sol, sous un simple revêtement de terre, sans la moindre bâche de protection. Le premier inventaire de l’ANDRA [3] en 1993 n’a mentionné ni le tumulus ni l’existence des déchets enfouis.
Depuis des années la CRIIRAD a communiqué ses informations et ses requêtes aux plus hautes instances de l’Etat. Elle a notamment demandé un descriptif du contenu de ce dépotoir, le reconditionnement et le transfert éventuel des déchets, le contrôle radiologique et chimique de la terre, l’autorisation d’accéder au site pour des mesures radiométriques et spectrométriques rigoureuses et la décontamination de l’environnement. Finalement, en 1998, une étude du Haut-Commissariat à l’Energie atomique a reconnu que 2,6 à 3,5 tonnes d’uranium (teneur en U235 de 0,6 à 3,5 %) auraient été lessivées par les pluies dans la nature environnante, et notamment dans la nappe phréatique. Comble de cynisme ou d’idiotie militaire, le rapport avouait que « la contamination de la nappe liée à cette butte avait été mise en évidence dès 1977 (…) que « 900 kg environ d’uranium auraient quitté la butte via les eaux souterraines ». On appréciera la joliesse de la formule qui évoque un exode vacancier des immondices de notre souveraineté nationale vers le sud radieux (et … irradié).
La Cogema avait alors projeté une couverture du tumulus de stockage. Elle n’a jamais été réalisée. Pire : l’exploitant a résolu le problème par des pompages de la nappe et le déversement des eaux contaminées dans le Canal Donzère-Mondragon qui se jette à quelques kilomètres [4] Et la fusion de Cogema/CEA:Framatome/AREVA n’a rien remédié à cette incroyable affaire. Par négligence - on n’ose avancer la pingrerie comme motivation déterminante - elle n’a fait qu’aggraver l’impact écologique désastreux de son héritage. La raison d’Etat et le secret défense rendent souvent amnésique…
En tout état de cause, comme nous l’avons rapporté du débat contradictoire du vendredi 18 juillet, les anomalies des mesures constatées en aval de Tricastin, corroborent l’hypothèse d’un écoulement intermittent, et de longue date, des eaux contaminées par la décharge militaire à ciel ouvert.
Hallucinant !
Les riverains en aval de la région auraient donc subi, à leur insu, trente ans de drainage d’effluents liquides (ou gazeux) dans la poubelle fluviale du Rhône… Et de surcroît, la plupart des matières hautement radioactives disséminées dans leur milieu de vie ont une longévité, donc une durée de propagation possible, illimitée (période physique de l’Uranium 238, 4,5 milliards d’années, de l’Uranium 235 » 700 millions…etc…).
Tous les usagers de cette énergie prétendument au-dessus de tout soupçon devraient tenir compte de la capacité d’une telle pollution à se pérenniser dans leur milieu de vie. La dilution n’a jamais résorbé la radioactivité résiduelle qui continue de contaminer indéfiniment les éléments, sol, air, eaux, flore, faune, qui constituent notre biotope vital. Le cumul des incidents même mineurs, même étalés dans le temps, ne fait que démultiplier la dangerosité de leur impact sur les organismes vivants, notamment sur la chaîne alimentaire.
Depuis Tchernobyl et les travaux d’un certain nombre de physiciens et de biologistes compétents et indépendants, l’opinion profane ne devrait plus ignorer les ravages induits par la prolifération indéfinie des radionucléides. Pour mémoire et devoir de mémoire, en 2007, la comptabilité officielle n’a recensé qu’une centaine d’ « événements nucléaires » sur le territoire français, toutes entreprises confondues. Pour sa part Areva n’en confesse que sept. Un certain nombre d’inventaires parallèles (Greenpeace, Sortir du nucléaire, CRIIRAD) en comptabilisent plusieurs centaines. Et pourtant, passés les premiers émois, l’affaire de Tricastin n’ a guère mobilisé les masses régionales.
En fait, tout se passe comme si l’énorme appareil de marketing mis en place autour de l’avatar de la bonne vieille (!?) « fée électricité » d’antan avait un effet hypnotique sur la majorité des citoyen(ne)s - consommateurs(trices). Au trouillomètre de la nation un sondage récent montre que l’appréhension du nucléaire n’atteint que 27% de nucléosceptiques. L’action psychologique des spécialistes du lobby militaro industriel a réussi, pour le moment, à faire prévaloir sur l’instinct de survie - ou de vie tout court - les avantages mirifiques de sa panacée énergétique : énergie « propre », solutions à la crise du pétrole, coût modique, taxes professionnelles, sponsoring, emplois induits etc… Le 18 juillet, à la Préfecture de Valence, l’allocution liminaire de Didier Guillaume, Président du Conseil Général de la Drôme et de la CIGEET organisatrice du débat, avait pris d’emblée la tournure d’un vibrant appel d’offres : « Si la France (le gouvernement de Sarkosy et l’UMP, ndlr) décide de construire [5], alors le département de la Drôme est prêt à l’accueillir ». Il est à craindre que ce représentant du peuple n’en soit que le porte-parole, sereinement convaincu du soutien de ses administrés.
Et un fief de plus à réquisitionner sur le territoire national pour agrandir l’emprise d’Areva, alors qu’à l’évidence l’une des principales sources de sa dérive dangereuse découle de son gigantisme.
Pour contribuer, autant que faire se peut, à l’édification des masses plus ou moins abouliques nous amorcerons dans la parution prochaine de JournArles un petit zoom sur le lauréat français du « Public Eye Global Award 2008 » [6] qui s’autodéfinit dans son pedigree : « Leader mondial du cycle du combustible nucléaire depuis la mine, la conversion et l’enrichissement de l’uranium jusqu’au traitement et au recyclage du combustible usé ».
Jean Duflot