Analyse
Ce trésor de guerre, les céréaliers le considéraient comme un avantage acquis. C’était compter sans la fronde des éleveurs et le travail de lobbying mené auprès du gouvernement. En 2008, lors du congrès de la FNSEA à Nantes, éleveurs et céréaliers mettent pour la première fois leur différend sur la place publique.
Convaincu de la nécessité de mettre fin à cette injustice, Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, impose l’année suivante un revirement brutal. Dans la douleur. Et oblige les céréaliers à partager avec les autres filières. Au plus mauvais moment, alors que les cours des céréales se replient. En deux ans, les exploitants de Champagne, du Bassin parisien ou de la plaine de Caen ont vu leurs revenus chuter de 61 %.
Difficile d’encaisser une chute aussi brutale sans réagir. Sont-ils pour autant « fauchés comme les blés » pour reprendre leur slogan ? C’est sans doute vrai pour certains. Ceux qui ne bénéficient pas des meilleures terres, sont à la tête d’exploitations modestes. Ou traînent des charges d’endettement trop élevées. Mais le désastre demande à être nuancé. En 2006, avant la flambée du cours des céréales, selon Agreste, le service statistiques du ministère de l’Agriculture, le revenu net annuel par actif agricole était de 11 600 € en Bretagne et de 57 800 € en Ile-de-France.
Pour Jean-François Guitton, militant de la Confédération paysanne, « certains céréaliers sont à plaindre. Mais ils ont aussi été les grands gagnants de la Politique agricole commune depuis 1992, et ont globalement refusé tout type de régulation quand les cours étaient bons ».
Les manifestants d’hier ont-ils eu raison de crier au loup ? Oui, car même si les cours repartent demain à la hausse, plus rien ne sera comme avant. Sur les riches terres ukrainiennes, longtemps sous-exploitées par les autorités soviétiques, germent de nouvelles concurrences.
C’est là qu’il faut être. Les plus puissants l’ont bien compris. Champagne céréales (8 354 agriculteurs), première coopérative céréalière française, dispose ainsi déjà d’une filiale en Ukraine. Elle a pris des parts dans AgroGénération, la société montée par Charles Beigbeder pour y acheter des terres. Et cultiver en Europe de l’Est 100 000 hectares d’ici à 2012.
Patrice MOYON.
Ouest-France