Pensez vous que l’on maîtrise les conséquences de la transgénèse ?
On entend souvent dire que la technologie OGM est une technologie chirurgicale. Les mots ont leur importance, car quand on dit de quelque chose que c’est chirurgical, on sous-entend que l’on maîtrise tout. Or, il s’agit au contraire d’une technique totalement aléatoire dont on ne maîtrise pas grand chose. Pour introduire un transgène (CGA) dans des cellules de plante, il y a différentes techniques dont la plus fréquente est celle de la biolistique qui fait intervenir le canon à gènes. On utilise des micro-billes de tungstène, d’or ou de platine, qu’on va tremper dans la solution qui contient l’ADN (la CGA) que l’on veut faire rentrer dans la plante. L’ADN a une affinité pour ces revêtements, donc il vient tapisser les billes. Et avec un appareil qui ressemble à un petit révolver (le canon à gènes), on bombarde les cellules végétales en culture. Les billes vont passer à travers, et au passage, de l’ADN va éventuellement rester dans les cellules en s’intégrant comme il peut dans les chromosomes des cellules de la plante.
Non, ce n’est pas chirurgical car il est bien évident qu’avec ce type de technique, on ne maîtrise pas par exemple le nombre de gènes qui va s’intégrer dans la plante, le nombre de copies de gènes, les endroits où ils vont aller s’insérer... On a des possibilités techniques de le vérifier à postériori, mais ces possibilités ne nous disent jamais si on n’a pas perturbé des gènes naturels de la plante. Le seul cas où la transgénèse est ciblée, c’est-à-dire que l’on est capable d’intégrer la CGA à un endroit précis, c’est chez la levure de boulangerie et les cellules souches embryonnaires, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’on maîtrise là encore toutes les conséquences de la transgénèse. Donc, le caractère extrêmement aléatoire de cette technologie devrait justifier que ces OGM soient évalués de manière extrêmement rigoureuse, tant sur le plan sanitaire que sur le plan environnemental. Or, ce n’est pas le cas : nous sommes dans une carence totale d’évaluation.
Les OGM cultivés sur la planète sont majoritairement des plantes à pesticides. Est-ce dangereux de consommer ces plantes ?
Un pesticide est, je le rappelle, le terme générique qui englobe insecticide, fongicide et herbicide. Une plante à pesticide, c’est une plante qui accumule ou qui est susceptible d’accumuler des pesticides. Parce qu’elle a été génétiquement modifiée pour en produire en permanence (cas du MON 810), non pas pour résister mais pour tuer l’insecte, c’est une plante insecticide. L’autre catégorie de plantes à pesticides, ce sont des plantes qu’on a génétiquement modifiées pour leur permettre d’absorber un herbicide. Cet herbicide aurait dû tuer la plante, mais elle va pouvoir l’absorber sans mourir.
Dans les deux cas, les plantes accumulent donc un pesticide soit par absorption (herbicide) soit par synthèse (insecticide). La moindre des choses serait donc que ces plantes GM soient évaluées en tant que pesticides. C’est le minimum qu’on est en droit de demander. Que deviennent ces molécules dans les plantes, chez l’animal qui mange la plante, chez l’homme qui a mangé l’animal qui a mangé la plante ou qui boit son lait, qui mange ses œufs … ? D’autant plus qu’on sait qu’un certain nombre de pesticides ont tendance à s’accumuler dans la chaîne alimentaire, notamment au niveau du lait, des oeufs. La législation européenne sur les pesticides (directive 91-414) dit que pour qu’un de ces produits obtienne une autorisation de mise sur le marché, il doit avoir subi avec succès, entre autres, des tests toxicologiques de 3 mois sur 3 espèces animales différentes, dont le rat et la souris, plus des tests à 1 an, plus des tests à 2 ans sur le rat. Pourquoi 2 ans, parce que c’est la durée de vie d’un rat et cela permet de voir les effets du pesticide tout au long de la vie. Certes, on peut penser que c’est insuffisant, qu’il faudrait le faire sur des femelles en gestation, analyser la descendance, mais ça a au moins le mérite d’être clair et cadré.
Et qu’en est-il des OGM ?
En ce qui concerne les plantes OGM, qui sont donc des plantes à pesticides, la directive européenne 2001-18, demande effectivement des tests à moyen et long terme sur les OGM. Or, aucune plante pesticide n’a fait l’objet d’une évaluation de plus de 3 mois sur une seule espèce animale, le rat OU la souris. Et en plus, pour des raisons de secret industriel, ces tests sont faits par des laboratoires choisis par les firmes semencières, ce qui évidement, sans faire un procès d’intention aux firmes, va forcément poser des problèmes de transparence ! A partir du moment où on fait des tests qui montrent que l’OGM ne cause pas de problème pour la santé (comme on nous le prétend), pourquoi les cacher ? Or, à chaque fois qu’on a voulu avoir accès aux données brutes de ces tests, ça a été au prix de batailles juridiques et administratives monstrueuses pour surmonter le fameux secret industriel.
Vous avez un exemple ?
Ca a été le cas du « fameux » MON 863. Ce maïs Bt de la firme Monsanto n’est pas autorisé à la culture en Europe, mais il est autorisé à l’alimentation animale et humaine. Ce maïs a fait l’objet d’une évaluation commanditée par l’Allemagne qui était le pays évaluateur de cet OGM pour l’Europe. Ces études on bien sûr été faites par un laboratoire choisi par la firme Monsanto (1). Des rats nourris pendant 90 jours avec ce maïs OGM ont été comparés avec d’autres rongeurs nourris avec six autres régimes différents. Résultat : on a constaté des effets sur le foie et les reins, les deux organes de détoxification. Les conclusions de ces études, reprises par l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA) disent que ces tests sont statistiquement significatifs, mais biologiquement non significatifs, au prétexte notamment que les effets observés ne sont pas les mêmes chez les mâles et chez les femelles. Par conséquent, cet OGM a été considéré comme ne présentant pas de problème pour la santé et a été autorisé à l’alimentation en 2005.
En 2007, le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique (CRIIGEN) a repris les données brutes de cette étude auxquelles, Grennpeace-Allemagne a pu avoir accès suite à une action en justice auprès de la Cour d’Appel à Münster, pour en faire une nouvelle analyse statistique. Conclusion de cette contre-analyse coordonnée par le Professeur Gilles Eric Séralini : les rats nourris avec du MON 863 ont eu de « légères variations de croissance significatives, différentes selon la dose et le sexe. Il y a eu une diminution de 3.3% du poids pour les mâles et une augmentation de 3.7% pour les femelles ». De plus, les mesures chimiques relevées pendant l’expérience montrent des signes de toxicité hépatorénale et les triglycérides sanguins augmentent de 24 à 40% en fonction de la dose chez les femelles alors que les excrétions urinaires de phosphore et de sodium diminuent chez les mâles d’environ 30%. Les chercheurs concluent que des études plus longues seraient nécessaires et qu’ « avec les données présentes, il ne peut pas être conclu que le maïs transgénique Mon863 est un produit sain » (2).
Comment expliquez-vous une telle différence entre les deux interprétations ?
Indépendamment là encore des à priori que l’on peut avoir sur les OGM, ce n’est pas sérieux ! N’importe quel toxicologue qui constate des effets liés au sexe entre les hommes et les femmes, les mâles et les femelles, suite à un traitement, suite à une nourriture, soupçonne les voies hormonales sexuelles qui par définition sont différentes dans les deux sexes. Et on sait en plus qu’un certain nombre de pesticides, le RoundUp par exemple, perturbe les voies hormonales sexuelles. Et bien aucun dosage hormonal n’a été fait ! On a dit, « ce maïs est bon à la consommation animale et humaine ». Mais au nom de quelle urgence sociale se permet-on ainsi de prendre les consommateurs pour des cobayes ?
Pour finir, je ne dirais pas que ces tests sanitaires sont suffisants pour démontrer que les OGM sont toxiques mais ils sont en revanche suffisamment inquiétants pour au mieux appliquer le principe de précaution, au pire demander que ces tests soient refaits par des laboratoires indépendants et sur des périodes plus longues jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune ambiguïté, que ce soit dans le sens de la toxicité ou de l’innocuité de ces plantes GM. Mais le temps que demande l’évaluation scientifique n’est pas compatible avec l’urgence des brevets et des profits…
Depuis quinze ans, les américains consomment des OGM et pourtant, rien n’indique un effet quelconque sur le santé ?
Normalement, une démarche scientifique s’appuie sur la démonstration par la présence et non par l’absence (ou alors sur une convergence d’absences). Or aux Etats-Unis où la majorité des aliments contiennent des OGM, sur quelles études sanitaires à grande échelle pourrait-on se baser pour déduire que les OGM ne causent pas de problème pour la santé ? Et comment de telles études pourraient-elles exister dans la mesure où les pays comme les Etats-Unis qui produisent et consomment des OGM depuis plusieurs années ne séparent pas les filières agricoles ? Il est donc impossible de savoir qui consomme des OGM, à quelle dose et à quelle fréquence, et qui n’en consomme pas. Comment pourrait-on alors établir une corrélation entre l’apparition d’un quelconque problème sanitaire et la consommation d’OGM ?
Les firmes productrices d’OGM agro-alimentaire se basent sur le principe de l’équivalence en substance. D’après vous, est-ce un bon moyen de maîtriser les risques ?
Le principe d’équivalence en substance est une notion qui est retenue par toutes les instances gouvernementales dans le monde en matière d’OGM. C’est une absurdité scientifique. Il n’y a pas un seul scientifique au monde qui est capable de recenser ce que peuvent être à court, à moyen ou à long terme les conséquences d’une modification génétique sur un organisme. Et il existe de nombreux exemples qui le montrent. On a crée une pomme de terre transgénique qui résiste à un virus : elle a les tubercules qui poussent en l’air, pourquoi ? Un melon transgénique qui résiste à une peste : éclate avant maturité, pourquoi ? On a créé un saumon géant du Canada dans lequel on a modifié le gène d’hormone de croissance pour qu’il devienne plus gros et qu’il grossisse plus vite, le but étant de diminuer le temps d’élevage en pisciculture pour des raisons évidentes d’économies. Ce saumon, d’après la notion d’équivalence en substance, ne devrait être que plus gros : la seule chose qui devrait le différencier du saumon normal, c’est sa taille, puisque le seul gène qu’on a modifié ou introduit, c’est le gène d’hormone de croissance. Certes, il fait 5 à 6 fois la taille du poisson normal au bout de 18 mois, mais il est aussi plus agressif, il a une prédisposition au diabète, et il a la tête déformée à tel point qu’il va être vendu uniquement sous forme de filets.
Comment envisagez vous votre avenir ?
Comme de nombreux « lanceurs d’alerte », à commencer par Arpad Pusztaï, Manuela Malatesta, Ignacio Chapela (**), je subis des pressions, non pas sur la base de mes activités de recherche, mais sur mes prises de position qui dérangent. Mon équipe et moi-même ne ferons prochainement plus partie de l’Institut de Génétique et Microbiologie à Orsay (à partir de 2010) à cause de mes prises de position personnelles et publiques sur les OGM. De plus, les reliquats de crédits dont je disposais pour me permettre de travailler jusqu’à fin 2009 me sont supprimés. Pour 2010, j’ai déjà quelques propositions de projet mais encore trop embryonnaires pour que je puisse en parler concrètement.
Si je parle des OGM, c’est pour informer le grand public, en tant que chercheur mais aussi en tant que citoyen. J’ai été amené à prendre position car je considère qu’il est du devoir de tout chercheur de dire haut et fort quand il considère que la science dérive. Or aujourd’hui, en biologie, on n’essaie plus de comprendre le vivant, on essaie à tous prix de la maîtriser : on ne fait plus de la science mais de la technoscience. Et avec les OGM agroalimentaires, on prend clairement les consommateurs pour des cobayes et la planète pour une paillasse de laboratoire. Alors, je le dis haut et fort, n’en déplaise à tous ceux que cela peut déranger. Si le chercheur ne peut plus être critique vis-à-vis de la science et de ses applications, la science n’est plus la science mais une religion. Et bizarrement, ce sont ceux qui osent être critiques qui sont qualifiés d’obscurantistes…
Christian Velot « Lanceur d’alerte » sur les risques liés à l’utilisation des OGM, Christian Vélot est Maître de Conférence en Génétique Moléculaire à l’Université Paris-Sud et directeur d’une équipe de recherche au sein de l’Institut de Génétique et Microbiologie à Orsay.
(**) Enseignant-chercheur à l’Université de Berkeley aux Etats-Unis a publié en 2001 un article sur la contamination du maïs mexicain par du maïs transgénique dans la revue Nature. A partir de là, il est victime d’une campagne de dénigrement. Grâce à une forte mobilisation, il n’a pas perdu son contrat avec l’Université mais est parti pour la Norvège depuis. Quist D, Chapela IH. Transgenic DNA introgressed into traditional maize landraces in Oaxaca, Mexico. Nature. 2001 Nov 29 ;414(6863):541-3
(1) Hammond B, Lemen J, Dudek R, Ward D, Jiang C, Nemeth M, Burns J., Results of a 90-day safety assurance study with rats fed grain from corn rootworm-protected corn., Food Chem Toxicol. 2006 Feb ;44(2):147-60. Epub 2005 Aug 9.
(2) Séralini GE, Cellier D, de Vendomois JS, New analysis of a rat feeding study with a genetically modified maize reveals signs of hepatorenal toxicity. Arch Environ Contam Toxicol. 2007 May ;52(4):596-602. Epub 2007 Mar 13.