"Un port sans bateaux, ça fait mal au cœur."
Aujourd’hui, un seul bateau à quai, une activité pas folichonne, un portique antique. [1] Docker syndiqué depuis 25 ans dans le port de commerce de Sète, Thierry Alderigi ne peut qu’être pour un nouveau trafic de marchandise qui apporterait de l’emploi aux dockers occasionnels payés à la tâche. Même s’il se méfie des promesses de
trafic de conteneurs sans lendemain. Sur le quai E, à côté des pylônes pour plates-formes pétrolières et des parcs à voitures à bas prix de Turquie, une pancarte anodine : permis de construire pour un terminal frigorifique de 21 000m3 pour fruits et légurnes. GF Group, une société italienne de logistique, devrait installer frigos, bureaux et portique de déchargement de conteneurs (pour 25 millions d’euros)
d’ici un an et assurer 200 emplois en 10 ans. Le tout grâce a l’arrivée d’un bateau de 6 000 palettes par semaine, toute l’année, dès novembre 2010. Propriétaire du port, la Région Languedoc-Roussillon a donné son aval et compte investir 20 millions d’euros pour redorer le blason du port. Jusqu’ici, tout le monde est d’accord.
Les fruits de la colonisation
Mais le principal client de GF Group n’est autre qu’Agrexco, [2]une importante société d’export d’avocats, de tomates, de plantes aromatiques bio, de fraises de Noël, de dattes et d’oeillets, Sète deviendra alors la tête de pont pour la distribution à Paris, à Lyon et dans toute l’Europe de ces produits en provenance d’Israël. Du moins sur le papier. Car près de 100 organisations locales et nationales réunies dans la Coalition contre Agrexco (voir encadré) l’accusent d’exporter de 60 à 70 % des produits agricoles de la vallée du Jourdain, en Cisjordanie occupée [3]. Ceci en les mélangeant à des produits sous label « Produit d’Israël » pour bénéficier des avantages douaniers consentis par l’Europe depuis 2000. Et tout en mettant sous pression les Palestiniens qui n’ont guère d’autres choix que de passer par son intermédiaire pour exporter leurs produits frais. Du moins ceux issus du peu de terres qu’il leur reste : ils seraient spoliés de 95 % des terres et de 98% des forages d’eau au profit de 7 000 colons subventionnés. Pour moitié propriété de l’État d’Israël, Agrexco se fait donc taxer de « bras armé de la colonisation » par la Coalition, qui pointe l’illégalité de son commerce au regard du droit international. Certes, Agrexco opère depuis 35 ans dans le port de Marseille, mais l’annonce de son arrivée à Sète a coïncidé avec les massacres de Gaza en janvier dernier (1 300 civils morts, dont 400 enfants) et mis à vif la sensibilité à la cause palestinienne. Et « puisqu’on est ici, on résiste où on est », argue Frédéric Licciardi d’Attac Sète.
Empêcheurs d’exporter en rond
Pour fa Coalition, faire venir Agrexco revient à se rendre complice d’un État criminel et de la ségrégation subie par la population palestinienne, que les militants comparent à l’apartheid : check points répétés, interdiction de créer des sociétés et d’exporter, arrachage d’oliviers, arrestations arbitraires, séparation par un mur. Depuis près d’un an, les
membres de la Coalition multiplient donc les actions visant à ouvrir un débat avec la Région ; lettres ouvertes, manifestations, réunions publiques, occupation des locaux lors de conseils régionaux. Des actions rarement couvertes par les médias locaux.
« Je n’ai pas l’habitude de mêler la politique à l’économie »
, repond Georges Frêche, président de la Région, qui tend aussi, selon Montpellier journal, à couper la parole aux conseillers régionaux qui soulèvent le débat. En effet, pour lui comme pour Jean-Baptiste Giordano, vice-président de la Région délégué au port, la visée de la Coalition est claire : « Ne soyons pas dupes : la polémique est montée en épingle dans un but politique, !e soufflé retombera après les élections ». Pour M. Koris, directeur d’Agrexco France, aucun problème : "Nous n’avons que 1 % de produits en provenance de territoires occupés, que nous déclarons suivant te règlement européen. Il y a de l’amitié entre nous : les Palestiniens nous choisissent pour exporter alors qu’ils peuvent passer par des sociétés privées ou par l’Egypte, et nous leur donnons les mêmes montages qu’aux autres."
Mais pour la Coalition, la Région doit refuser de travailler avec eux "Il y a toujours moyen de négocier, de demander des preuves que les clients de GF Group respectent les résolutions de l’ONU. "Si la Région a directement négocié avec Agrexco, Jean-Baptiste Giordano se défend d’avoir un quelconque pouvoir ; « Nous ne sommes pas les clients d’Agrexco et nous ne finançons pas GF Group ! Si vous. louez un appartement, votre propriétaire ne peut pas vous interdire d’inviter votre mère. C’est pareil : si nous empêchions Agrexco de venir, nous serions attaquables en justice, tant que l’ONU n’a pas prononcé un embargo. C’est donc au niveau des États qu’il faut agir. Et chacun de nous est responsable en tant que consommateur, nous pouvons boycotter ! ».
Justement, en tant que consommateurs, faut-il accepter de voir arriver des produits provenant de milliers de kilomètres, parfois hors saison, pour partie concurrents à bas prix des fruits et légumes cultivés dans notre région ?
"Non", appuie Nicolas Duntz de la Confédération paysanne : "c’est contradictoire par rapport à ici politique de relocalisation conduite dans la région (cantines bio et locales) et aux objectifs du Grenelle de l’environnement. Dans la région, la population paysanne s’est réduite de moitié en dix ans : sur les 45 000 ha de vignes arrachés, on pourrait installer des jeunes agriculteurs. En sapan la paysannerie locale, on soumet la sécurité de notre approvisionnement alimentaire au bon vouloir du marché. Et on ne favorise pas l’autonomie des territoires, vu les conditions sociales de production." Une logique qui devrait s’étendre à tous les produits importés, comme le soulignent Jean-Baptiste Giordano et les dockers : « Pourquoi personne ne manifeste contre les voitures Dacia (Renault) produites en Turquie ou en Roumanie grâce à de la main d’oeuvre au rabais ? Contre les primeurs marocains qui arrivent au marché Saint-Charles à Perpignan ou via Port-Vendres ? Contre les camions réformés qui partent en Birmanie ? »
Ouvrir le débat
« Mais alors, c’est tout le système qu’il faut changer », conclut, le docker Thierry Alderigi. Et, chacun de leur côté, les membres de la Coalition comme Jean-Baptiste Giordano assurent : « Il faut avoir une approche globale, c’est le développement de la région qui est en jeu ». Sont-ils d’accord ? Pas pour autant : "Nous n’avons pas la même vision de la performance", analyse Nicolas Duntz. "Pourquoi mettre en concurrence des emplois des uns contre ceux des autres ? D’autres solutions sont possibles, mais encore faut-il pouvoir se mettre autour d’une table avec tous les acteurs qui ont intérêt au développement du port". Chaque organisation va donc interpeller les candidats aux élections régionales sur ces sujets. A la Région, on dénigre d’avance les propositions : "Si c’est pour planter des avocats sur le Larzac..." Une des pistes pourrait être le "merroutage" ou cabotage, qui permettrait de faire transiter les marchandises depuis Barcelone, par exemple, en bateau plutôt qu’en camion. Une idée abandonnée depuis six ans environ... mais suggérée par la Région pour la production de l’usine Lafarge de Port- la-Nouvelle.
Pris entre deux feux, les dockers, eux, veulent assurer leurs arrières : "Laissons venir Agrexco : même s’ils ne restent pas longtemps, on aura un outil de travail capable d’attirer du trafic." Thierry évalue : débarquer un bateau par semaine nécessite environ 15 dockers et 5 grutiers - soit 4 équivalents-temps-plein seulement. Pour les dockers du port, le risque est de voir toutes les autres manutentions réalisées par du personnel interne de GF Group en général de jeunes intérimaires payés au SMIC et non formés.
Précaires de tous les pays...
QUI est la Coalition contre AGREXCO
117 organisations contestent la venue d’Agrexco, à Sète comme ailleurs.
Elles se retrouvent en organisation informelle autour dela solldarité avec les Palestiniens et du respect du froit international et humain, de la sécurité alimentaire et de l’écologie. " Une façon de travailler en transversal sur un large front pour faire des propositions alternatives ä lusieurs portes d’entrée " résume Nicolas Duntz de la Confédération paysanne. La Coalition rassemble des associations locales d’ici et de
partout en France des partis politiques (Les Verts, le NPA, le Parti communiste) des organisations nationales altermondialistes (Attac, Les Alternatifs), de défense des droîts de l’homme et des Palestiniens (Ligues des Droits de l’Homme, Association France Palestine solidarité, a CIMADE, Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien) , musulmans mais aussi juives, comme l’’union Juive française pour la paix. Histoire de ne pas confondre la religion avec la politique israelienne de ne pas confondre la religion avec la politique israélienne...www.coalitioncontreagrexco.com
Que dit le droit international ?
Selon la quatrième Convention de Genève, la colonisation constitue un crime de guerre. A deux reprises, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté des résolutions pour la fin de l’occupation israélienne en Palestine, mais Israël considère le texte comme inapplicable. En juillet 2004, la Cour internationale de justice de La-Haye a rendu un avis consultatif contre la construction du mur destiné de protéger les colonies israéliennes du terrorisme. Des accords en vigueur depuis 2000 font de l’Europe le principal partenaire économique d’Israël, sous réserve de respect des droits de l’homme et de la règle d’origine qui proscrit les produits des colonies. Suite a une enquête prouvant leur violation, le Parlement européen s’est positionné contre ces accords en 2002, puis en décembre 2008. Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy sont passés outre et en ont fait voter une extension par le Conseil des ministres européen.