Aussi, en octobre, Le Monde diplomatique a publié une enquête sur la filière nucléaire française. Elle faisait état de problèmes de sécurité, en partie occasionnés par l’obsession de rentabilité d’Electricité de France (EDF), dont les actionnaires se soucient avant tout de réduire les dépenses. Jusque-là, rien de très remarquable. A ceci près que le quotidien économique La Tribune vient de se voir retirer le budget publicitaire d’EDF pour avoir publié une information lui ayant déplu. La question du risque financier découlant de la parution d’un article de ce genre ne se pose pas pour nous. D’une part, les recettes publicitaires, qui ont toujours été plafonnées à 5 % de notre chiffre d’affaires, représentent à l’heure actuelle moins de 3 % de celui-ci. D’autre part, nos choix rédactionnels relèvent exclusivement de l’équipe du journal. Cela ne nous permet pas de devenir très riches, mais cela rend notre vie moins tourmentée.
Dégagés de la pression publicitaire, nous pourrions cependant privilégier des sujets racoleurs, avec l’espoir de conforter les ventes du journal qui, avec les abonnements, assurent l’essentiel de nos moyens d’existence.
Le mois dernier, justement, Le Nouvel Observateur et L’Express ont choisi de consacrer le même jour leur couverture aux tribulations sexuelles de M. Dominique Strauss-Kahn. On comprend bien une telle priorité : l’actualité était vraiment inerte et la mondialisation heureuse ces dernières semaines... Cela dit, ceux qui se soucient davantage de l’évolution des sociétés russe ou congolaise (à lire dès mercredi dans nos colonnes) que de la vie privée d’un homme autrefois adulé par la quasi-totalité des médias savent depuis longtemps qu’ils ont mieux à faire qu’acheter Le Nouvel Observateur.
Le Monde diplomatique s’intéresse aussi à la Libye. Avouons-le, la chose est moins originale ces jours-ci. La presse française est en effet gouvernée par une règle inamovible depuis trente-cinq ans : tout pays dans lequel Bernard-Henri Lévy vient de voyager et à propos duquel il commet un livre devient ipso facto un géant de l’actualité. Nos lecteurs ne seront cependant pas surpris de découvrir que nous avons fait appel pour le numéro de décembre à un enquêteur qu’on distingue de « BHL » au premier coup d’oeil : il ne se met pas en scène.
Ne dépendre ni des annonceurs, ni du racolage, ni des amuseurs a un prix. Celui que plus de trois mille d’entre vous ont accepté de payer depuis notre appel d’octobre 2009. Les 300 000 euros qu’ils nous ont déjà versés confortent notre indépendance et notre volonté de demeurer singuliers. Nous savons ce qu’un tel effort financier représente pour ceux qui le fournissent. Nous mesurons aussi l’attachement au Monde diplomatique qu’il témoigne.
Mais la défense de notre singularité et la poursuite de notre développement dépend de votre mobilisation financière à nos côtés.
Il ne tient qu’à vous, sans qui rien n’est possible.
Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique.