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Comment mettre en pratique le développement durable dans une société hyper-industrielle

Vers une écologie industrielle

Fiche de lecture réalisée par Marc Del Corso, le 30 novembre 2007

samedi 8 décembre 2007, par ab (JournArles)


Auteur : Suren ERKMAN
Journaliste scientifique,
Directeur de l’ICAST, Institut pour la communication et l’analyse des sciences et technologies (Genève),
2004, 2ème édition revue et augmentée (1ère édition : 1998)
Éditions Charles Léopold MAYER (Fondation pour le Progrès de l’Homme – FPH)


Un « mieux industriel » réaliste et réalisable

Ce livre présente, de façon synthétique, actualisée et très documentée (riche bibliographie sur l’ensemble des sujets abordés), l’émergence d’une nouvelle discipline scientifique, l’écologie industrielle. Il s’agit bien d’une branche de l’écologie fondamentale et non de l’écologie militante ou politique. Enseignée dans les Universités, elle recherche, dans les connaissances que nous avons des écosystèmes naturels, des solutions techniques pour permettre au secteur industriel de s’intégrer plus harmonieusement dans l’écosystème planétaire en s’inspirant, par analogies, du fonctionnement de la Nature.
L’industrie et les activités humaines ne doivent pas être considérées séparément de la Nature. Elles font partie de la biosphère.
De nombreux exemples réels confirment les importants avantages, environnementaux et économiques, à reproduire, par une approche intégrée et systémique, le fonctionnement, équilibré et clos, d’un écosystème naturel.
Ce concept d’écologie industrielle, repose sur un premier, préalable indispensable, celui de métabolisme industriel, qui est l’étude de l’ensemble des composants biophysiques du système industriel à travers une description et une analyse quantifiée (Analyse des cycles de vie – ACV) des flux et stocks de matières et d’énergies (plutôt que des flux et stocks financiers).

Critique de la politique environnementale industrielle actuelle

Que ce soit dans les pratiques des industriels ou dans les règles imposées par les pouvoirs publics, le système actuel, séparant Nature et Industrie, est plus curatif que préventif. Il cherche à remédier, après coup, aux « problèmes de pollution de l’environnement ». C’est ce que l’auteur appelle l’approche end of pipe (sortie de tuyau) y compris lorsque l’on cherche à traiter déchets et pollutions « à la source ». L’auteur décrit les principaux défauts de cette approche :

Elle est cloisonnée : Approche sectorielle des différents déchets qui concernent soit les sols, l’eau ou l’atmosphère et sont gérés par différentes filières techniques contrôlées par différentes administrations ou organismes et des législations distinctes. Ce qui entraîne rigidité, divergences et contradictions et ne se résume souvent qu’à déplacer les problèmes de pollutions (boue de traitements des eaux qui polluent les sols, incinérateurs de déchets solides qui polluent l’atmosphère, etc.) Ce cloisonnement se répercute au niveau des conventions internationales : lutte contre l’effet de serre, contre la désertification, protection de la biodiversité, etc.

Elle est incrémentale : En procédant par perfectionnement des systèmes existants grâce à de petites améliorations graduelles elle empêche de véritables innovations et s’enferme dans une ornière technologique. (Ex. : les pots catalytiques qui améliorent le moteur à explosion alors que nous aurions du abandonner ce type de moteur depuis longtemps mais que nous conservons pour ne pas mettre en difficulté le secteur automobile et devoir changer tout le parc mondial.)

Elle coûte de plus en plus cher : Face au renforcement des normes l’approche incrémentale voit son rendement en baisse constante : il faut payer de plus en plus pour diminuer une proportion de plus en plus faible de polluants. Sans compter que le traitement des déchets entraîne des déchets secondaires ou ultimes dangereux qu’il faut traiter. (Ex. : une étude américaine a prouvé que l’incinération d’une tonne de déchets toxiques génère jusqu’à 40 tonnes de déchets divers, constitués principalement de cendres et d’eaux de rinçage des filtres).

Elle induit des effets économiques pernicieux : Les déchets sont devenus un secteur économique florissant et juteux (plusieurs centaines de milliards de Dollars !) qui défend ses intérêts et son principe de nécessité. Le lobby ainsi créé empêche donc toute tentative sérieuse de stratégie préventive, action qui se reflète dans les législations environnementales. Paradoxalement, par le biais du marché créé, la pollution entre alors dans le calcul du PNB et apparaît donc comme une richesse (!) gagnée sur le dos de l’appauvrissement des écosystèmes.

Elle constitue un oreiller de paresse technologique : Les industriels se contentent de respecter les normes en achetant des dispositifs de dépollution (les moins chers possibles) ou de payer des taxes plutôt que de faire de la recherche pour améliorer leurs modes de production.

Elle peut porter préjudice aux pays en développement : en leur donnant (imposant) un système industriel sclérosé et générateur de pollutions. Pollutions à traiter par des technologies que nous possédons et qui feront l’objet de nouveaux contrats !

Elle n’offre pas de vision globale : alors que la Terre est ronde ! (Et qu’elle tourne, on appelle même cela, sans jeu de mots, la révolution terrestre ! Ces notions qui datent de Galilée (1564-1642), ne semblent toujours pas intégrées dans la conscience collective comme le montre l’aspiration économique à une croissance illimitée).

Les écosystèmes industriels

Cette analogie intuitive est apparue dans un article du numéro thématique de la revue Scientific Américan (Pour la science en français) : « La gestion de la planète Terre » en septembre 1989. Cet article, intitulé « Des stratégies industrielles viables », rédigé par deux responsables de la recherche et développement chez General Motors, présente la première définition claire du concept.
Dans un écosystème naturel tout est recyclé par les différentes strates d’organismes et il n’y a pas de déchets. Les végétaux créent la matière organique à partir des minéraux et de l’énergie solaire, les herbivores puis les carnivores en profitent, enfin les détritivores vivent sur la dégradation des déchets et des cadavres et sur le retour des composés complexes aux éléments minéraux.
Il est certain qu’il sera difficile d’arriver à un écosystème industriel parfait mais on peut s’en approcher et abandonner les pratiques actuelles qui sont un crime contre notre environnement et un absurde gaspillage des ressources.
Cette démarche semble essentielle si on souhaite conserver ou améliorer notre cadre de vie et ne peut pas souffrir de la dégradation de l’environnement.
On trouve donc là une voie pour poursuivre la croissance mais sans consommer plus de ressources et d’énergie, simplement en les exploitant mieux.

Tentative de définition de l’écologie industrielle :
- Vision globale et intégrée de la Biosphère, industries humaines comprises.
- Vision de l’économie basée sur les flux de matières et d’énergies (matériel) et non sur l’aspect financier (immatériel).
- Ensemble de technologies à développer. (voir plus bas)

Un exemple de symbiose industrielle : Kalundborg (Danemark)
Cette zone industrielle, proche de Copenhague, a été, dès les années 80, le lieu de nombreux échanges entre industries au point de devenir un exemple et de susciter l’appellation de symbiose de Kalundborg, par analogie avec le monde vivant. Autour d’une importante centrale électrique à charbon, se sont développés des échanges de matières (qui ne sont plus des déchets) et d’énergie : Les vapeurs de la centrale sont redistribuées dans les petites et moyennes industries périphériques (raffinerie de pétrole, usine de synthèse biochimique, manufacture de plaques de plâtre, municipalité pour le chauffage d’une ville de 20.000 habitants), les eaux chaudes de la centrale alimentent une ferme aquacole, les eaux usées de la raffinerie servent au refroidissement de la centrale, etc.
Parmi les collaborations les plus remarquables, on notera que la centrale a installé un système de désulfuration des fumées par transformation de chaux (carbonate de calcium) en gypse (sulfate de calcium). Après quelques recherches et mises au point de sa chaîne de production, la fabrique de plaques de plâtre a abandonné l’importation de gypse naturel d’Espagne pour ce sous-produit de la dépollution des fumées, tout aussi convenable, beaucoup moins cher et qui profite également, par cette valorisation, à la centrale en l’incitant à moins polluer !
Bilan annuel estimé : économie de 600.000 m3 d’eau, de 45.000 tonnes de pétrole et 15.000 t. de charbon ; réduction des émissions de 175.000 t. de CO2, 10.200 t. de SO2 ; recyclage de 130.000 t. de cendres (construction routière), 4.500 t. de soufre (production d’acide sulfurique), 90.000 t. de gypse, 1440 t. d’azote, 600 t. de phosphore … pour un amortissement moyen des investissement en moins de cinq ans (Voir sur Internet : Ecoparc)

Cette exemple n’est pas idéal sous tous rapports mais a fortement inspiré d’autres sites ainsi que la création de parcs éco-industriels où la symbiose est pensée en préalable et équilibrée au niveau des quantités. Ils sont aujourd’hui nombreux, surtout aux USA mais aussi au Canada, en Hollande et en Autriche. Toutefois, passé l’effet de mode, peu sont arrivés à des résultats concrets : Complexité pour équilibrer les échanges ? Difficultés techniques pour adapter les déchets ? Manque de confiance ou de créativité ?

Les biocénoses industrielles

Comme le montre l’exemple de Kalundborg, l’écologie industrielle est possible et intéressante surtout lorsque plusieurs activités (pas forcément cohérentes de prime abord ou d’un point de vue économique) sont présentes sur un même site et complémentaires par leurs besoins et leurs déchets, effluents ou sous-produits.
Dans cette optique de profit réciproque, dans le vivant comme dans l’industrie, certaines associations sont plus intéressantes que d’autres. En analogie avec les associations et communautés d’espèces vivantes de toutes sortes qui s’associent dans le cycle de vie d’un écosystème, on appellera ces regroupements d’intérêts des biocénoses industrielles.
Cette pratique a pour conséquence de sortir les entreprises de la focalisation sur le produit principal, en les amenant à optimiser le procédé complet de production, à utiliser tous les sous-produits et à sortir de la seule logique de compétitivité en les poussant à des collaborations d’intérêt économique. Cette approche est d’ailleurs très enrichissante pour les PME (voir le programme ZERI - Zéro Emissions Research Initiative - de l’Université des Nations Unies, dirigé par Gunter Pauli : )

Pour évoluer vers des écosystèmes industriels de plus en plus efficients, là encore, les sciences naturelles, en général, l’écologie scientifique et la paléoécologie, en particulier, vont nous apporter de précieuses connaissances pour adapter les systèmes de production industrielle.

L’évolution des écosystèmes

La vie poursuit son évolution depuis près de 4 milliards d’années et elle a su évoluer vers des formes complexes, s’adapter à de profonds changements environnementaux et optimiser, par des prodiges d’invention, son profit sur les matières et énergies disponibles sur notre planète. Nous serions idiots de ne pas en tirer profit et de ne pas exploiter les savoirs accumulés par les sciences naturelles.
Ce que l’on sait de l’évolution des écosystèmes nous permet de distinguer trois degrés de complexité croissante :

Écosystème primaire linéaire : Les organismes utilisent une matière première disponible à profusion et rejettent des déchets qui s’accumulent de façon négligeable dans un milieu immense (comme illimité). C’est le cas des écosystèmes des origines où la vie sous une forme primitive, bactéries et protozoaires, baignait dans la « soupe » primordiale. Il est à noter que pendant cette longue période (environ 3 milliards d’années) les algues unicellulaires en pratiquant la photosynthèse ont accumulé dans l’atmosphère un « déchet » hautement corrosif pour les cellules… il s’agit de tout le stock d’oxygène qui se trouve encore aujourd’hui dans l’air ambiant et sans lequel la Vie n’aurait pu, ensuite, se développer de façon aussi impressionnante et foisonnante sur Terre.

Écosystème secondaire cyclique : les ressources du milieu (matières et capacité d’absorption des déchets) diminuent. Les niches écologique se complexifient et forment une chaîne trophique (alimentaire), les matières sont mieux exploitées et les déchets recyclés (sous-produits). Les échanges à l’intérieur de l’écosystème deviennent plus important que les entrées et sorties.

Écosystème tertiaire clos : Le cycle est parfait. Plusieurs sous-cycles assurent l’utilisation complète de tous les produits. Seule l’énergie solaire vient de l’extérieur. C’est le cas de l’écosystème terrestre global.

Le système industriel n’en est encore, très souvent, qu’au tout premier niveau de cette échelle. Composé de systèmes linéaires parallèles qui ne considèrent pas l’épuisement des ressources et la saturation de déchets dans l’environnement qui nous attendent à (très) court terme. S’il ne peut espérer totalement atteindre à la perfection, il peut s’inspirer des écosystèmes secondaires pour progresser vers l’idéal terti.

Suivent deux chapitres consacrés à un historique des concepts de l’écologie industrielle, à des exemples de programmes (l’écosystème Belgique, conseil pour la structure industrielle au Japon) et à des exemples de métabolismes industriels (le Cadmium du Rhin, écologie du jus d’orange, métabolisme des ménages urbains, les pollutions des productions électronique et photovoltaïque, …)

Stratégie de l’éco-restructuration

Pour atteindre cet objectif d’évolution et de maturation des écosystèmes industriels, il est nécessaire de développer plusieurs axes d’action :

Valoriser les déchets comme des ressources. Ce qui nécessite de sortir des logiques de produits uniques dans des modes de production linéaires. De ce fait, il est nécessaire d’adapter nos techniques afin de pouvoir produire à partir de matières recyclées et non plus de matières neuves ou vierges.

Boucler les cycles de matière et minimiser les émissions dissipatives. Les décharges deviennent alors des sortes de mines artificielles. Toutefois, il faut éviter les effets pervers du recyclage : stimulation de la production et de la consommation ce qui reviendrait finalement à augmenter et accélérer les flux de matières ; trouver des techniques de recyclage non-polluantes en choisissant les matières pour leur facilités de recyclage (Ex. : actuellement tous les additifs des plastiques – colorants, etc. – sont dissipés dans l’environnement lors des opérations du recyclage). Il faudra également résoudre les problèmes de tri et séparation des matières ainsi que le problème de leur dégradation progressive à chaque recyclage qui n’est donc pas un cycle mais une spirale de qualité décroissante (sauf le verre, les matières recyclées sont de moindre qualité et ne peuvent donc subir indéfiniment le recyclage.)

Dématérialiser les produits et les activités économiques. Ex. : Réduire le poids des emballages (pots plus fins, allègement du packaging,…), louer un service plutôt que de vendre du jetable (stratégie des photocopieurs loués par Xérox), etc.

Décarboniser l’énergie. La dématérialisation des produits et les économies liées à l’optimisation des matières et de l’énergie sont déjà des facteurs permettant de faire plus en dégageant moins de CO2. On peut également utiliser des combustibles qui émettent moins de CO2 en passant du charbon au pétrole puis au gaz naturel et, dans un avenir proche, à l’hydrogène et aux biocarburants. La troisième voie d’action est de capter en sortie le déchet que constitue le CO2 et de le séquestrer par divers procédés (enfouissement géologique, séquestration biologique…)

Les nouvelles technologies au service de l’écologie industrielle

Il est nécessaire de ne plus se cantonner dans des technologies « vertes » marginales, isolées et opposées à des technologies « sales ». L’objectif de l’éco-restructuration est que toutes les technologies évoluent. Il faudra donc inventer, innover en mettant en place des prototypes viables et enfin diffuser les innovations à l’échelle planétaire. Dans cette optique, divers secteurs technologiques nouveaux peuvent être de puissants auxiliaires :
Ingénierie écologique ou éco-technologie (ex. : utilisation des zones humides pour l’aménagement de stations d’épuration biologiques, …)

Biotechnologies, (utilisation de propriétés biologiques de certains organismes pour remplacer des techniques physico-chimiques imparfaites, écosystèmes microbiens artificiels, etc.)

Industrie chimique ultra-fine, (optimiser la performance des procédés permet également de diminuer les quantités de déchets)

Nanotechnologies (qui permettent de contrôler les procédés jusqu’au niveau moléculaire voire atomique…

Conclusion : Durabilité et utilisation intensive des produits

Le développement et la poursuite d’une croissance économique ne seront possibles qu’en se contentant de ce que la Terre peut donner et supporter.
Toutefois, lorsque l’on considère, aux vues de nos connaissances sur les écosystèmes, le gaspillage des modes de production actuels, il apparaît que nous avons de très gros progrès à faire et donc une grande marge de croissance à baser sur une meilleure utilisation et exploitation des ressources et des énergies que nous offre la Nature.
C’est donc dans cette recherche de durabilité des produits et d’utilisation optimale des ressources que se situe l’espoir d’une survie, d’une poursuite de la croissance mondiale et de ce « mieux » industriel auquel nous aspirons. Entre la poursuite d’une croissance irresponsable et la contrainte d’une décroissance difficile à envisager, existe donc une troisième voie, celle de l’écologie industrielle qui permet d’optimiser les activités humaines et de prouver qu’une telle révolution scientifique et technologique n’est pas une utopie mais une possibilité que nous n’avons pas le luxe de pouvoir négliger.


Vous pouvez lire une autre critique de ce livre ici.

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