Radiocativité dans le Rhône

AREVA mon amour - 4

Dossier réalisé par Jean Duflot

samedi 16 août 2008, par Forum Civique Européen

Portrait succinct d’un empire dont l’ambition déclarée est de produire à court terme 1/3 des réacteurs de la planète. Et une brève anthologie de quelques unes de ses tribulations…

AREVA un nom de baptême...

Les fidèles et les actionnaires de l’église nucléaire ont dû être aux anges d’apprendre que le groupe a choisi son nom de baptême en s’inspirant de l’abbaye cistercienne espagnole d’Arevalo. Robustesse romane, et connotation mystique… Sûreté et propreté… Avec une raison sociale pareille, la pérennité transcendantale du nucléaire est assurée dans les siècles des siècles. Amen...
Nucléocratie religieuse oblige, le holding s’est doté d’une structure pyramidale, au sommet de laquelle siège une direction fortement hierarchisée (directoire, conseil de surveillance, comités auxiliaires). Au passage, signalons la tendance néo-libérale, nettement orientée vers le profit à court terme, de ce montage pseudo-démocratique. La composition du conseil parle d’elle-même : 8 actionnaires, 4 représentants de l’Etat, 3 salariés…

Areva NC, [1] anciennement Cogema, a été crée en 1976, pour se spécialiser dans les activités liées au cycle de l’uranium. L’entreprise publique opère dans l’exploitation des mines, la production et l’enrichissement des combustibles nucléaires, le traitement et le recyclage des combustibles usés, l’assainissement et le démantèlement des installations périmées.

En 2001, Areva SA est née de

la fusion de CEA industrie, Framatome et Cogema.

Elle s’est structurée en quatre grands filiales (Areva NP, NC, TA, T&D).
Le pôle amont gère des mines d’extraction d’uranium en France, au Canada, au Kazakhstan et au Niger ; il procède à la conversion et à l’enrichissement de l’uranium naturel et fabrique du combustible nucléaire (enrichi, ou de retraitement, Mox, Ure). Le pôle réacteurs et services construit les réacteurs (Atmea, SWR-100, REP (à eau pressurisée) et REB (à eau bouillante) et fabrique les divers composants des centrales nucléaires( cuves, générateurs de vapeur, dispositifs de régulation) ; il produit des appareils de mesures, des systèmes de détection, de surveillance et de radioprotection, et assure les services de suivi et d’amélioration des centrales. Le pôle aval traite et recycle les combustibles usés (uranium et plutonium) ; il est chargé du conditionnement et de l’entreposage des résidus, du démantèlement et de l’assainissement des sites abandonnés et réalise des audits et des études de faisabilité pour de nouvelles installations. Le pôle Transmission et Distribution gère l’acheminement et la distribution d’électricité (réseaux électriques, maintenance etc…).

En 2004, le holding Areva contrôlait déjà 250 sociétés affiliées. « La pieuvre » est implantée sur 56 sites industriels majeurs, 40 en Europe, 7 en Amérique, 5 en Asie, 4 en Afrique et au Moyen-Orient.
En France, elle exploite l’usine de retraitement de la Hague, et les sites de Marcoule, le complexe Pirerrelatte/Tricastin et le centre de recherche de Cadarache. Plusieurs décennies durant, elle a extrait l’uranium aux quatre coins de l’hexagone (Bretagne, Limousin, Auvergne, etc…). Nous verrons plus loin comment elle a délocalisé sans états d’âme vers des sites miniers plus rentables et plus accomodants en matière de législation du travail et de droits de l’homme. Aux USA, malgré la concurrence de Westinghouse, elle est présente sur 40 aires secondaires de 20 états ; ses filiales détiennent souvent le leadership de l’entreposage, du conditionnement des déchets, des technologies de sûreté et des équipements d’usines. Depuis la loi sur l’énergie de 2005 (Energy Policy Act ) qui a relancé le programme nucléaire américain, Areva négocie la construction des réacteurs EPR de troisième génération.

En Chine

L’implantation croissante de l’hyperfirme comporte 11 sociétés commerciales, une usine contrôlée 100% et 13 co-entreprises. En 2004-2005, elle a signé des contrats de 4 nouvelles centrales nucléaires et en 2007 le plus gros contrat de l’histoire du nucléaire civil (8 milliards d’euros). Et les perspectives du marché chinois s’annoncent mirobolantes. Récemment, en marge d’un plan d’investissement, la plus haute autorité de l’Institut Chinois de l’Energie Nucléaire vient de faire une déclaration qui a plongé les stratèges d’Areva dans une euphorie extatique : « Je ne pense pas que 30 centrales soient suffisantes, la Chine en aurait besoin de 300 pour faire face à la demande extérieure ». En Grande Bretagne, elle est le partenaire privilégé du nucléaire anglais et s’est vu décerner un diplôme de propreté, en qualité de « preferred bidder » chargé du pilotage de la centrale stratégique de Sellafield. Associée à E.On et Siemens, en Allemagne, elle projette la construction en partenariat de centrales en Europe, équipées notamment des modèles de réacteurs EPR maison.

Au Niger, en passe de devenir le 4ème producteur mondial d’uranium, elle exploite des mines sur des concessions à Arlit et Imouraren, dans des conditions de pillage qui relèvent des instances judiciaires internationales (41 euros le kilo d’uranium contre 186 au cours du marché). Premier investisseur du pays et deuxième employeur après l’Etat nigérien, Areva a prévu un plan de modernisation qui ferait d’Imamouren le plus grand site minier de l’Afrique de l’ouest. Coût, 2 à 3 milliards d’euros, capacité de production, 5.000 tonnes par an. De quoi couvrir à 100% les besoins en uranium de la France.
Ailleurs, poursuivant son ambitieux projet d’expansion planétaire, Areva prospecte sites et marchés tout azimut : en Russie, Finlande, Mongolie, Australie, Namibie, Afrique du sud, Centrafrique (rachat illégal de la mine canadienne UraMin sur le site de Bakouma). Bien entendu, cette fuite en avant se fait avec les grandes banques en poupe et l’appui logistique de l’Etat.

Areva est à la pointe de l’utopie énergétique

Quelques aperçus budgétaires donnent une idée de la puissance financière de ce consortium chéri par tous les gouvernements qui se sont succédés depuis sa création. En 2007, son chiffre d’affaires avoué aurait été de 12.000 millions d’euros par an, son carnet de commandes de 39.834 millions d’euros. Cotée en bourse à Euronext, à hauteur de 38 euros l’action en valeur nominale, elle inonde le marché de 35 à 40 millions de titres qui font le bonheur des petits et grands porteurs de la France d’en haut. Inutile d’insister sur le poids de ce moteur économique et stratégique dans le système industriel et financier du capitalisme français et international. Son rôle présent et à venir lui assure un soutien inconditionnel et une impunité perpétuelle. On ne touche pas au cœur d’une aussi colossale réaction en chaîne de profits. Sa philosophie coïncide avec la sacro-sainte raison d’Etat : on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs.

Et de fait, en termes de gabegie sacrificielle, Areva a fait preuve d’une redoutable compétence. Il suffirait de compiler l’inventaire des incidents ou des accidents plus ou moins graves qui jalonnent son développement, pour découvrir le revers de son gigantisme.
Dans toutes les centrales qu’elle a équipées de ses technologies, elle est directement ou indirectement responsable d’un certain nombre de dysfonctions. Que ce soit à Marcoule où elle a pris la relève de la CEA, à Chinon, Chooz, St Laurent, Brennilis, Bugey, Fessenheim, Blayais, Civaux, Creys- Malville, Nogent, Cruas, et bien entendu à Pierrelatte/Tricastin et Romans, etc… des centaines d’incidents, la plupart classés 0 et 1 par l’ASN, remettent en question la fiabilité des installations et la maîtrise des paramètres de la production nucléaire (pression, température, circuits d’alimentation et de protection des réacteurs). Aucune des 19 centrales ( 58 réacteurs) françaises n’a été épargnée par des défaillances techniques ou des erreurs humaines. Rien qu’à Fessenheim, doyenne du parc national, les incidents se sont multipliés au cours des trois dernières années (7 incidents sérieux en 2005, les 3 derniers ont eu lieu au début de juillet). Une estimation des nuisances ordinaires de la filiale Socatri, établie par la CRIIRAD en 2007, prouve qu’elle a rejeté dans l’atmosphère 42 fois plus de carbone 14 et 5 fois plus de tritium que le maximum fixé par la législation de 2005.

Pour la seule année 2007, l’ASN a recensé bon gré mal gré 842 événements (classés 0 sur l’échelle INES, bien sûr) et 86 (classés 1), aucun dans les catégories supérieures. Un inventaire qui contredit le recensement des travailleurs irradiés (plusieurs centaines entre 96 et 2008), établi par un comptage médical au demeurant laissé à la discrétion des entreprises. Pour plus de détails, je renvoie à la consultation des rubriques web consacrées à ces 19 centrales.
En amont et en aval, sur les sites miniers et les centres de stockage et de gestion des déchets, le bilan donne froid dans le dos.

Areva a abandonné la plupart des 20 concessions bretonnes (Rosglas…), les sites de Bois noir, St Pierre du Cantal, Bellezane, Crouzille, Soulaines, Brennilis, etc… sans procéder à l’assainissement des lieux.

Total : la pollution des cours d’eaux, des nappes, des sols par des décharges plus ou moins sauvages continue d’empoisonner indéfiniment les milieux de vie. Ailleurs ce sont les stockages défectueux dans des carrières, des galeries, des puits d’extraction qui ont un impact encore incalculable sur la santé des populations. A Lodève pour économiser le coût d’une décontamination le groupe a enterré purement et simplement l’usine. Et partout, sévit une radioactivité résiduelle qui pulvérise tous les plafonds autorisés. Deux exemples édifiants du cynisme ambiant. L’un en France à Malvesi (Aude), l’autre en Afrique (au Niger et au Gabon).

A l’usine de raffinage et de conversion d’uranium de Malvesi, la Comurhex, filiale à 100% d’Areva NC, a perdu à plusieurs reprises le contrôle de la situation ; explosions en 1979, déraillement de wagons de vidange en 2001, rupture des digues dans les bassins de lagunage en 2004 (lâcher de15.000 m3 de résidus uranifères, de radium et autres isotopes). En 2006, inondations et déversement de 60.000 m3 d’eaux et de boues sédimentaires contenant la gamme presque complète des matériaux hautement radioactifs, Uranium 234, 235, 236, 238, Thorium 234 , Plutonium etc…On a résolu le problème par des pompages et des rejets dans le canal de Tauran ; en 2007, fuite d’une trentaine de kilos d’uranium d’un container en provenance du Niger.
Trois ou quatre procès assortis d’indemnisations (leucémies etc…) après, Areva traîne toujours les pieds pour une bonification drastique des lieux. La fin justifie toutes les exactions.
Au Niger, et au Gabon plusieurs missions, dont celle de Sherpa/CRIIRAD, ont révélé le scandale des mines d’extraction de l’uranium : une catastrophe écologique et humanitaire qui mérite un complément d’information à cet exposé.

La suite prochainement.

Jean Duflot

Notes

[1nuclear cycle

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