Entre 8h30 et 13 h, la conférence organisée par la CIGEET (Commission d’information des équipements énergétiques du Tricastin) a plaidé l’innocuité de ce que Hugues Blachère, le directeur d’Areva-Bollène, a qualifié de
« Défaut de coordination et de prévenance »
.
Quelque jours après, l’euphémisme a été repris par la PDG d’Areva, Anne Lauvergeon (cf. La Provence, 19/07/08 : « Areva fait son mea culpa ») qui a reconnu du bout des lèvres « le manque de coordination entre le personnel de maintenance et les exploitants de la Socatri ». Vu le flagrant délit et la couverture plus ou moins alarmiste de la presse, il eût été difficile de passer sous silence la responsabilité de la filiale incriminée. Autant avouer et sanctionner le directeur- fusible (démissionné illico presto) et mettre en cause l’erreur humaine : la direction a même révélé que trois employés de l’équipe de garde étaient absents la nuit du 7 juillet sur l’installation, dont le chef de service. Une fugue de collégiens en goguette ? Une virée nocturne par-dessus le mur de la Centrale (double enceinte électrifiée, chicanes barbelées, mouchards acoustiques et optiques, miradors). Pour un peu nous aurions eu droit au récit de leurs frasques clandestines.
En fait, après un zest d’amende honorable pour leur petit écart sécuritaire le long « débriefing » de leur exercice de blanchiment, censé éclairer les médias locaux et nationaux, a viré à une litanie quasi unanime d’éloges. En guise d’information nous avons eu surtout droit à un hymne au courage et à la transparence (sic) de la société pollueuse (Socatri), filiale du Leader mondial de l’industrie nucléaire. Le déversement de 30 m3 d’effluents radioactifs (360 kilos d’uranium) d’une cuve de rétention dans l’environnement ?
Rien à voir avec Harrisburg ou Tchernobyl
Péché véniel. Pas de quoi perdre la foi dans le sacro-sainte église nucléaire. Le chœur des techniciens et des fonctionnaires d’Etat a ressassé la formule lénifiante de circonstance : « aucun impact sanitaire sur les populations riveraines ». Une aberration d’un cynisme renversant qui ne tient aucun compte ni de la lenteur de la diffusion des rejets ni de celle de l’évolution d’éventuelles pathologies. Comme si la contamination pouvait être visible ou se solder par un cancer au bout d’une dizaine de jours. C’est pourtant le constat médical qu’Anne Lauvergeon (ancienne chargée de mission de F. Mitterand) s’est cru autorisée à délivrer à La Provence dans l’article ci-dessus mentionné : « aucune des anomalies n’a eu d’impact sur les riverains ou l’environnement ». CQFD…
Avec la bénédiction de l’ASN (Autorité de Sécurité Nucléaire) l’incident avait donc été classé dès le lendemain au niveau 1 de l’INES (Echelle nationale des événements nucléaires)
Et les experts-croupions de la Socatri, de l’Areva, de l’ASN et de l’IRSN, d’étayer leur démonstration par d’interminables séquences de transparents bourrés de chiffres, d’estimations radiologiques, de diagrammes, assaisonnés de temps à autre de morceaux de bravoure à vous laisser la mâchoire pendante et les bras ballants. On y a appris, par exemple, que la plupart des valeurs collectées par leurs agents n’étaient guère supérieures à la teneur en uranium des mini-bouteilles d’Evian gracieusement offerts par l’administration (1 microgramme/litre).
C’était sans compter avec la présence de quelques écolos de « Sortir du nucléaire » ou des membres de la CRIIRAD [1]
qui ont contesté vigoureusement les conclusions de l’aréopage de faux-culs préposés à la glorification du fleuron de l’industrie nucléaire française.
Primo, le classement INES. La fuite des effluents ayant débordé le périmètre du site, l’accident méritait au minimum le niveau 3 d’alerte.
- Cruas au bord du Rhône
Secondo, comme l’a rappelé Mme Rivasi, ancienne directrice de la Commission indépendante de Valence, de nombreuses études ont établi la corrélation entre la contamination par les uraniums et leur impact pathogène sur les enfants en bas âge, les femmes enceintes et les mères allaitantes. Une récente étude allemande qui s’ajoute à des travaux effectués en Grande Bretagne et aux Etats-Unis met en évidence la toxicité chimique et les ravages de la radioactivité de la plupart des isotopes utilisés dans les centrales. Les leucémies seraient deux fois plus fréquentes dans un rayon de cinquante kilomètres autour de leurs sites. Son franc parler qui mettait en cause l’incurie et/ou les mensonges de la confrérie des surdoués de la brosse à reluire scientifique a déplu à monsieur le Préfet qui l’a sermonnée sur la gravité de ses assertions. En nucléocratie, la vérité ne peut être que diffamatoire.
Terzio, Mme Corinne Castanier, directrice de la CRIIRAD a remis en question la méthodologie de l’enquête et la plupart des valeurs énumérées et légendées sur les transparents, valeurs en l’occurrence quasi toutes en dessous du seuil fixé par l’OMS (15 microgramme /litre). Négligence ou calcul tendancieux, la plupart des évaluations ont été faussées par le retard dans les prélévements et les mesures de protection. En outre l’absence de données chiffrées sur les zones en aval des rivières du site (Gaffière, Lauzon), le flou concernant les teneurs en uranium des nappes alluviales et phréatiques et la dissimulation de certains pics de pollution (très au dessus des normes en vigueur) discréditent l’objectivité des expertises. Deux semaines après l’incident, la composition radiologique (Uranium naturel, artificiel, de retraitement, enrichi et autres matières ?) des cuves n’est toujours pas précisée. Et surtout dans ces évaluations, la mesure de la contamination a été exprimée en volumes et en poids, jamais en becquerels, autrement dit en taux de radioactivité. Un communiqué de Greenpeace a fait état d’un taux équivalent à 6000 fois la limite réglementaire…
Il y a plus inquiétant encore.
Comme nous l’avons signalé dans un article précédent dès le 9 juillet, la CRIIRAd a procédé à des contre-expertises dans des captages privés et la nappe phréatique en aval du site de la Socatri. Ces analyses ont décelé des taux anormaux d’uranium dix fois supérieurs au « bruit de fond » habituel sur certains points de la cloture : entre 400 et 700 coups par seconde(c/s) en dépassement très net de la norme (60c/s). De plus, de fortes traces de contamination sont apparues dans une zone, au confluent de la Gaffière et la Mayre Girard, officiellement épargnée par la pollution. Par ailleurs, l’analyse par spectrométrie de masse y a détecté la présence d’atomes de masse 236, donc d’uranium 236, et démenti ipso facto les affirmations de la société en charge des résidus sur la teneure exclusive en uranium naturel des cuves. Enfin, la fluctuation des taux de concentration dans les circuits d’eau potable (puits, adductions) que les experts de service ont mis sur le compte de la complexité hydrogéologique du sous-sol, induit un certain nombre de questions graves.
Dans le compte rendu de la CRIIRAD on peut lire certains détails alarmants de son expertise : « Au robinet relié à un puits situé à 2 kilomètres au sud de la station de la Socatri, la concentration était de 64 microgrammes par litre le 8 juillet, de 22 le 10 juillet, de 36,6 le 14 juillet. Dans une ferme voisine la teneur était de 15,2 microgramme/litre le 9juillet, de 12,5 le 14 ».
Areva-Socatri aurait-elle menti sur la composition radiologique des rebuts traités ?
Ou alors, comme l’information parallèle (y compris en provenance de quelques cadres internes) le soupçonne de plus en plus, une pollution antérieure, indépendante de la fuite du 7 juillet, serait-elle à la source de ces fluctuations ? S’agit-il d’un incident antérieur et d’une contamination résiduelle, ou d’un écoulement étalé sur des années ? Une des entreprises du site (EDF, Comurhex, Eurodif, CEA, Cogema, aujourd’hui Areva) aurait–elle dissimulé ses bavures aux inventaires périodiques de l’Agence nationale des déchets radioactifs (ANDRA) ? Ou celle-ci participerait - elle plus ou moins à l’omerta qui entoure l’industrie nucléaire ?
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TRICASTIN : AREVA MON AMOUR
Enregistrement du 18 juillet 2008 Information du public à la préfecture de Valence (CIGEET) différentes voix et entretien avec Corinne Castanier (CRIIRAD) Directrice du laboratoire
Texte et modération Jean Duflot montage Hannes Lammler
- 2 Exemple de transparence
- Au moment de faire « toute la transparence » sur l’incident du 7 juillet 2008 à Tricastin, les « autorités » nucléaires sont obligés d’informer en tout urgence sur un nouveau incident dans une installation à Romans. durée 5 :33
- 3 - Les interventions précises de la CRIIRAD,
- Commission de recherche et d’informations indépendantes sur la radioactivité n’ont pas eu l’écho quelle méritent dans les médias principales : voici quelques faits qui méritent d’être rapportés et connus par un large public par exemple que les normes de l’OMS ne sont pas suffisantes. durée 1 :07
- 6 - L’entretien avec Corinne Castanier au siège de la CRIIRAD
- à Valence. La présentation de la CIGEET, qui ressemble à une promotion du nucléaire 2 :59
- 8 - Le facteur temps dans la contamination
- après un incident et le dépassement du seuil autorisé de 27 fois, qui n’inquiète pas les autorités. 6 :30
- 13 - la CRIIRAD a besoin d’adhérents : explications par Michel Dannequin, administrateur de la CRIIRAD
- 1 :54
- Cruas au bord du Rhône
- Il y a des tas malentretenus à Tricastin