Le Hold-up planétaire, extrait de l’À propos de l’œuvre...
Comment Bill GATES a-t-il pu amasser une telle fortune en vendant des logiciels médiocres sans obligation de résultats et sans crainte de poursuites, à un coût unitaire quasi-nul et à un prix public qui ne baisse jamais ?
Comment est-il parvenu à piéger les consommateurs en kidnappant leurs informations dans un format propriétaire en constante remise en cause, qui les oblige à acheter tous
les ans une mise à jour de toutes leurs applications pour pouvoir simplement continuer à lire leurs propres données ? Comment a-t-il piégé les compétiteurs, en introduisant des variations arbitraires dans le seul but de ne pas permettre aux produits qu’ils développent de fonctionner correctement ?
Comment a-t-il usé de l’intimidation auprès des distributeurs et de l’intoxication auprès des médias pour se présenter comme le chevalier blanc de la démocratisation du savoir alors qu’il organisait méthodiquement la servitude de tous ?
Il existe des alternatives technologiques viables à l’hégémonie de Microsoft : les défenseurs du logiciel libre, issus pour la plupart de la communauté scientifique, se regroupent en association pour plaider la cause de cette voie, qui permettrait à la
fois de diminuer la dépendance européenne et de rapatrier en Europe les emplois que notre complaisance à l’égard de Microsoft financent aujourd’hui de l’autre côté de l’Atlantique. La France est en retard, plaident les esprits chagrins ? Justement, expliquent les auteurs, le retard français est notre meilleur atout : nous avons certes raté un train, mais c’est celui qui est en train de dérailler !
Domique NORA [1]
et Roberto Di COSMO [2]
Avant-propos
Un matin du mois de mai 1998, j’avais rendez-vous au Département de mathématiques et d’informatique de l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm avec Roberto Di Cosmo. Je ne connaissais pas ce chercheur en informatique, mais il m’avait adressé une copie papier d’un long texte sur Microsoft publié sur Internet, « Piège dans le cyberespace », et je préparais un dossier sur ce sujet pour Le Nouvel Observateur. Je suis arrivée à son bureau vers 10 heures ; j’en suis repartie à… 15 heures, abasourdie !
Le temps d’écouter Roberto Di Cosmo décortiquer avec brio les enjeux de la mainmise de Microsoft sur la microinformatique, et ses possibles implications sur nos vies.
Âgé de trente-cinq ans, italien, Roberto Di Cosmo est diplômé de la Scuola normale superiore de Pise et a soutenu sa thèse de doctorat à l’Université de Pise, avant de devenir maître de conférences à l’ENS. Ses recherches se situent à la croisée des chemins entre la programmation fonctionnelle, la logique, la théorie des catégories, la théorie des jeux et la programmation parallèle et distribuée. Il est responsable de projets
universitaires internationaux et membre des comités de programme de plusieurs conférences internationales d’informatique théorique. Mais le plus remarquable est sans doute que ce curriculum vitae difficilement intelligible au commun des mortels n’empêche pas Roberto Di Cosmo de faire preuve d’un grand talent de pédagogue et d’un sens aigu de l’analogie. Surtout, il m’est apparu qu’il avait développé, depuis dix ans, une analyse assez inédite des produits et des pratiques du leader mondial du logiciel.
Microsoft est en effet peu critiquée dans les médias français. Et, quand cette entreprise l’est, c’est en général par antiaméricanisme, par technophobie ou par fascination / répulsion pour son fondateur, Bill Gates. Rien de tout cela chez cet informaticien de haut niveau, qui juge l’entreprise sur ses produits, mais aussi à l’aune d’un idéal : l’espoir que la technologie soit utilisée pour bâtir un monde meilleur. L’informatique doit être mise au service du plus grand nombre, et non accaparée pour les plus grands profits du plus petit nombre. C’est au nom de cette conviction — largement partagée — que Roberto Di Cosmo défend, aux côtés de nombreux universitaires, la solution alternative d’une informatique ouverte, fondée sur le « logiciel libre ». (...)
Di Cosmo et ses pairs avaient l’habitude de gloser, entre eux, sur la mauvaise qualité des programmes de Microsoft, et de dénoncer la façon dont l’entreprise grignotait la sphère Internet. Mais ces propos ne sortaient pas des cercles académiques. À l’heure où les technologies de l’information transforment à jamais la manière dont nous vivons, à l’heure où Internet s’impose comme le système nerveux de la planète, il fallait que ces opinions soient exprimées à haute et intelligible voix. D’où l’idée de ce livre d’entretiens, rémontant les mécanismes, et surtout les tenants et aboutissants d’un « hold-up » planétaire.
Afin que les utilisateurs de PC comprennent pourquoi leur machine « plante » si souvent. Afin que les Français puissent décrypter les enjeux du procès opposant l’État américain à
Microsoft et ses conséquences possibles sur le marché de l’emploi en Europe. Afin que les citoyens épris de culture, de liberté et de transparence mesurent à quel point les options « technologiques » déterminent en réalité des choix de société qui affectent autant — sinon davantage — les béotiens que les spécialistes. Afin, surtout, que les responsables d’administrations comme d’entreprises connaissent au moins l’existence de
solutions alternatives.
Dominique NORA
JournArles a décidé d’attirer de nouveau l’attention sur cet ouvrage essentiel suite, bien évidemment, aux révélations d’Edgar SNOWDEN. La seule protection contre le flicage conséquent de l’Internet peut émerger dans l’utilisation conséquente sur tous les niveaux de programmes OPEN SOURCE.
Bonne lecture
JOUNARLES