Douce France

Lundi 20 Septembre 2010. Aéroport Roissy- Charles De Gaulle. Paris

dimanche 17 octobre 2010, par LDH Arles

Je voyage sur le vol Air-France 718, décollage prévu à 16h15, en compagnie de Christine et à destination de Dakar. Nos places se trouvent à l’arrière du Boeing 777. A peine installé, mon attention est attirée par des bruits anormaux derrière moi, genre gémissements, plaintes qui rappellent celles d’un animal captif, traqué ; contrit. Autour et qui masquent la source des bruits, quatre personnes, trois hommes et une jeune femme, serrés les uns aux autres faisant écran, mais à quoi ?

Je m’approche. Surprise... Au milieu de cette masse aux visages tendus, non pas un animal contenu, mais un jeune homme traqué, pâle, décomposé, en pleurs ; il est africain. Il est menotté dans le dos et comme pressuré par ses geôliers. Il gémit "Vous me faites mal, je veux voir ma fille"… Ma curiosité n’est pas la bienvenue. J’ai compris.

J’interroge : C’est une expulsion du territoire ? La réponse est laconique. "Oui monsieur, une décision de justice, regagnez votre siège, il n’y a rien à voir". Je connais le processus de reconduite dans les pays dits- d’origine. Je l’ai dénoncé maintes fois avec mes amis de la Ligue des Droits de l’Homme et d’autres. Passé le premier moment d’émotion, je décide d’aller vers l’avant de l’habitacle et de prévenir les passagers qui s’installent :" Il se passe des choses pas catholiques à l’arrière". Peu à peu, les gens s’approchent, questionnent. Le ton monte. "Vous me faites mal, je veux voir ma fille"…

Maintenant, l’avion est plein, mais ne donne aucun signe de départ. Les hôtesses s’affairent, rassurent, comme gênées, mais ne parviennent pas à détendre l’atmosphère. Les passagers s’agitent, de plus en plus nerveux. Monte alors par l’arrière un policier de la PAF (police aux frontières), très déterminé, autoritaire. C’est le chef. Il ordonne à tous de s’assoir, sans quoi, il va faire débarquer « les belligérants ». La fronde continue, s’amplifie ; la confusion s’installe.

"Je veux voir ma fille"… Je laisse moi aussi deux filles en France, mais je les reverrai bientôt, moi. Le chef se déplace de siège en siège "Assis, pas de photos, sinon... Il passe près de nous, nos regards se croisent. Nous nous sentons « sur l’œil ». Christine pleure, d’émotion, d’indignation, de dégoût ; l’autre détourne les yeux. Que ressent-il ? A t-il des filles chez lui ?

C’est alors que par le hublot , nous voyons apparaitre un cordon de police, casques, boucliers, matraques, toute la panoplie de ces « travailleurs » de l’Etat-policier. Ils montent à bord et après un temps de palabres confus, s’élancent dans la travée, collés les uns aux autres, tels des chenilles processionnaires. Ils s’emparent d’une dame qui refusait de s’assoir. Elle ne dit rien, ne se plaint pas, assume son choix, son refus, sa tristesse. Je n’oublierai pas ses yeux, sa dignité, sa noblesse. Elle est débarquée sans ménagement.
 
"Je veux voir ma fille"… Le commandant de bord arrive, enfin. Je lui dis nôtre indignation. La situation va devenir intenable. Il faut débarquer ce malheureux. "Vous me faites mal, je veux voir ma fille"… Après quelques minutes de conciliabule feutré, on descend le jeune africain de l’avion. Un sentiment de victoire envahit l’appareil. Il est de courte durée. Une hôtesse a prévenu le chef que quelqu’un a pris des photos, il se dit journaliste. Les chenilles processionnaires reviennent et débarquent le photographe.

Il est 18h30. Le vol était prévu à 16h15. Je m’avance vers le chef avec beaucoup de précaution :"Maintenant que le problème est solutionné, rien ne s’oppose à ce que l’on réintègre les passagers débarqués". La réponse est édifiante. "Dans nôtre travail, monsieur, nous ne pouvons pas perdre la face". Quel travail ? De quoi parle-t-on ? Cela est un travail ?, plutôt un contrat de mercenaire au service d’un état policier. 

L’avion a finit par décoller. Mon voisin demande « à quelle heure on mange ?" Je pense au regard de cette dame qui doit être en garde à vue, peut-être en comparution immédiate et prison ferme pour refus d’obtempérer à la force publique. Ce ne sont pas les attentions forcées du personnel de bord, le mauvais champagne et autres compassions qui nous feront passer cette boule dans la gorge.

A la sortie de l’avion, au moment où le personnel au grand complet, en rang d’oignons, se contorsionne en courbettes ridicules, semblables aux condoléances d’enterrement, je dis « Nous sommes très choqués de la complicité que manifeste Air-France, fleuron de notre aviation nationale, envers cet Etat-policier et ses méthodes plus que douteuses ». La réponse d’une des hôtesses, celle qui avait dénoncé le photographe, me glace les os : « Nous ne faisons qu’obéir aux ordres ». Je ne répond pas, mais me revient en mémoire cet adage d’Anatole France : « Il est beau de désobéir à des ordres criminels ». 

Christian Cabane

P.-S.

La section d’Arles de la L.D.H. se réunit tous les premiers mercredi du mois à partir de 17h30 à la Maison de la Vie Associative, Bd des Lices. http://www.ldh-france.org

3 Messages

  • Douce France (un air de lâcheté collective) 19 octobre 2010 00:02, par P. AUZAT-MAGNE

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    Très bien le compte-rendu, mais quid des passagers et de vous ?

    Avez-vous fait l’effort, en signe de protestation, de descendre, comme un seul homme, de l’avion ? Pas du tout.
    En fait, l’équipage comme les passagers ont leurs "petites" obligations personnelles, et les droits de l’Homme s’arrêtent à la passerelle de l’avion.
    Vous avez beau jeu de critiquer les courbettes du personnel, car elles vous sont destinées.
    Vous êtes le pendant "consommateurs" du personnel aux ordres.
    Souvent les gens qui se révoltent contre une expulsion me font bien rire, car le moment venu, ils rentrent tous dans leur intérieur bourgeois loin des problèmes des exclus, des sans papiers ou des étrangers ayant des problèmes.

    Pendant 20 ans, j’ai hébergé des étrangers dans mon appartement, et quand je demande à ceux qui veulent défendre les étrangers : combien ont hébergé, au moins une seule fois, un étranger, il y en a bien peu.

    Les seules personnes qui méritent un minimum de considération dans cette histoire, sont les deux qui ont été emmenée de force par les forces de police. Les autres ne méritent que le mépris et l’indifférence.
    Si tous les passagers avaient suivi la dame et le journaliste, l’histoire aurait eu une autre gueule.
    Les passagers du vol 93 (United Airlines) de 2001 ont vraiment montré du courage ; ce qui n’a pas été votre cas.

    Bien sûr vous avez tenté de créer une émeute, mais le résultat de tout cela est bien nul, car au final, vous vous êtes assis, vous avez fermé votre gueule, et vous êtes tranquillement arrivé à destination.

    Chapeau, l’artiste ! Il n’y a pas de quoi se vanter.


    P. AUZAT-MAGNE

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    • Douce France (un air de lâcheté collective) 25 novembre 2010 08:40, par Cabane

      Réponse à P.Auzat-Magne à propos de l’article "Douce France" paru dans journarles fin septembre.

      Tout d’abord,cher monsieur,dans cette affaire,personne n’a eu l’intention de se "vanter" de quoi que ce soit,comme vous le subgérer avec un certain mépris,mais tout au plus, de donner un témoignage objectif des faits sans négliger les forces et les faiblesses de chacun. Je ne m’épancherai pas sur les problèmes internes que mon attitude m’a posé,mais j’ai évalué,en conscience,à ce moment-là,compte-tenu d’un rapport de force qui n’était pas en faveur d’une action collective,que la plus éfficace des attitudes était celle que j’ai choisi,à savoir rester et témoigner. Au vu des réactions que cela a provoqué dans la presse sénégalaise,je ne le regrette pas. Ceci étant dit,vous n’êtes peut-être pas sans savoir qu’il existe autant de situations différentes que de stratégies possibles à des moments donnés et que certaines situations peuvent nous commander des actes moins spectaculaires ou moins chevaleresques que d’autres. Je suis prêt à débattre des concepts d’entrisme,de radicalité ou de quichottisme,en sachant que je ne suis guère porté sur le sacrificiel,mais que,par contre,je peut me passer aisémment des conseils dogmatiques des donneurs de leçons,des militants moralistes et autres chevaliers blancs.
      Je suis engagé dans ces luttes depuis bien longtemps et s’il vous fallait loger (ce sont vos termes) tous les étrangers que j’ai soutenu ou hébergé,j’ai bien peur que vôtre maison n’y suffise pas.
      Pour finir,et même si vous devait trouver ma position accomodante,je vous engage à un peu plus de retenue et de modestie avant de porter,sans connaitre les paramètres,des jugements définitifs et d’user de termes blessants à mon endroit.

      Salutations Christian Cabane

      PS : Si ça peut vous rassurer,les gens qui ont été débarqués de l’avion ont été suivis par le service juridique d’un mouvement auquel je collabore et ils ont voyagé le lendemain. Nous nous sommes vu à Dakar. Ils sont devenus des amis.

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  • Abandon ? 19 octobre 2010 08:49, par Sophie Deleusse

    Tu protestes, OK, et puis tu laisses celle que tu as entrainé toute seule ?

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