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Pour contrer la spéculation contre les dettes publiques, l’UE interdit les « CDS souverains à nu »

Un éclairage de Jean Quatremer

mercredi 19 octobre 2011, par ab (JournArles)

Les marchés, en s’attaquant aux États, ont été trop loin. L’Union a décidé, ce soir, de commencer à leur arracher les griffes. Le Parlement européen a, en effet, obtenu le ralliement des États à sa proposition d’interdire les « CDS souverain à nu », l’un des instruments favoris des spéculateurs qui a été notamment utilisé pour déstabiliser la Grèce au premier trimestre 2010. L’accord était rien moins qu’évident, les États étant particulièrement sensibles aux pressions de leur secteur financier qui adore ces instruments. Mais l’aggravation de la crise de la zone euro qui touche désormais les banques a manifestement convaincu les capitales européennes qu’il était temps de sévir en allant beaucoup plus loin que ce que proposait la Commission. Il faut saluer au passage le rapporteur du texte, l’écologiste Pascal Canfin (et ancien journaliste ;-)) qui s’est battu comme un beau diable pour obtenir cette interdiction.

Les « credit default swap », ce sont ces assurances que contractent les prêteurs pour se garantir contre le défaut d’un débiteur. Ils sont dits « souverains » lorsqu’ils couvrent une obligation d’État, c’est-à-dire une dette publique. Jusque-là, rien de choquant. Mais ce « produit dérivé » s’est mis à se négocier en lui-même. En clair, on peut vendre et acheter des CDS sans avoir la moindre obligation en sa possession… C’est exactement comme si l’assurance d’une maison se vendait et s’achetait indépendamment de la maison. L’intérêt de celui qui achète un CDS est donc que la maison brule afin de pouvoir toucher la prime d’assurance. Sans aller jusque-là, on peut gagner de l’argent avec des CDS si, par exemple, on les vend au plus haut après les avoir achetés au plus bas, lorsque les détenteurs d’obligations commencent à avoir des doutes sur la solvabilité d’un émetteur et veulent se couvrir.

Dans le cas de la Grèce, les spéculateurs, dont la banque Goldman Sachs et plusieurs Hedge funds, avaient siphonné le marché des CDS grecs afin de faire grimper leurs cours. Cette envolée des CDS a déclenché une panique sur le marché de la dette grecque, les investisseurs voyant dans l’envolée des cours le signe que certains acteurs de marché doutaient de la solvabilité de la Grèce. Les investisseurs ont donc commencé à se débarrasser de leurs obligations d’États. Plus la peur gagnait, plus la valeur des obligations baissait, plus le cours des CDS grimpait. Les spéculateurs jouaient aussi contre la dette grecque, pariant à la baisse, un pari sans risque puisqu’ils avaient eux-mêmes déclenché la panique. En même temps, ils n’hésitaient pas à prêter à court terme à la Grèce à des taux de plus en plus élevés. Ainsi, ils gagnaient sur tous les tableaux. Ces spéculateurs ont depuis longtemps quitté le marché grec, puisqu’il n’y a plus d’argent à gagner : seuls les pigeons sont encore présents, ceux qui ont vendu une partie de leurs obligations d’État, entretenant ainsi la panique, mais qui en ont gardé une partie, désormais sans grande valeur. Actuellement, les spéculateurs s’attaquent à l’Italie et commencent à s’intéresser à la France.

Le plus beau est que la technique financière permet aussi de parier sur la baisse (ou la hausse) des CDS ou des obligations d’État sans même les posséder matériellement. C’est que l’on appelle les « ventes à découvert ». On peut même vendre à découvert à nue, c’est-à-dire sans même savoir si on pourra se procurer les titres si jamais on perd son pari. Un monde merveilleux dont je découvre chaque jour un nouvel aspect.

Il était donc urgent d’interdire les CDS souverains à nu, ce qu’avait déjà fait unilatéralement l’Allemagne au printemps 2010. Mais pour que la mesure ait un sens, il fallait qu’elle soit étendue à toute l’Europe, et notamment à la City. C’est désormais fait : un CDS devra forcément accompagné une obligation souveraine. Cependant, les pays qui le souhaitent pourront demander à l’autorité de régulation financière européenne (ESMA) à ne pas appliquer l’interdiction communautaire pendant une période limitée s’ils constatent des dysfonctionnement sur le marché de la dette souveraine, c’est-à-dire s’il y a un problème de liquidités (je n’ai jamais compris en quoi les CDS étaient générateur de liquidités...). Le nouveau texte réglemente aussi les ventes à découvert en imposant une plus grande transparence (un acteur qui vend beaucoup de titres d’une entreprise ou d’un État devra en informer les autorités de supervision et, dans certains cas, le marché). De même, les ventes à découvert à nue seront limitées et encadrées et pourront être temporairement interdites par l’ESMA en cas de chute brutale des cours. Le règlement doit encore être adopté par l’Assemblée plénière du Parlement européen, en novembre, pour entrer en vigueur.

On ne peut qu’applaudir ce nouveau règlement qui marque un vrai progrès et il faut souhaiter que les Américains adoptent la même législation. Quoi qu’il en soit, en deux ans, la régulation financière européenne a fait de sérieux progrès, même s’il reste encore beaucoup à faire (notamment à l’égard des agences de notation). Mais les années perdues, notamment entre 2000 et 2008, ne se rattraperont pas, car des dégâts irréversibles ont été causés à l’économie réelle.

Jean Quatremer

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