Les faits sont graves dans leur simplicité : une ressortissante ougandaise demande l’asile en Grande-Bretagne qui rejette cette demande. Atteinte du sida et de deux affections opportunistes d’importance, elle soutient que la renvoyer en Ouganda mettrait sa vie en péril car elle ne pourrait avoir accès au traitement qui la stabilisait. Le gouvernement anglais s’obstinant dans sa volonté d’expulsion, l’affaire se retrouve devant la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme qui entérine la position des autorités britanniques. Renvoyer cette femme, dont « la Cour admet que la qualité et l’espérance de vie de la requérante auraient à pâtir de son expulsion », ne constitue donc pas un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (arrêt du 27 mai 2008).
Pour justifier que cette femme soit ainsi exposée à une mort rapprochée parce qu’étrangère, la Cour européenne n’hésite pas à mettre en avant la « charge trop lourde » qui pèserait ainsi sur les Etats membres du Conseil de l’Europe. En clair, les étrangers gravement malades, qui n’ont pas le droit de séjourner dans un des pays membres du Conseil de l’Europe, peuvent être expulsés, au risque de mourir dans des conditions dégradantes, si cela grève trop les caisses des Etats. On croyait que les dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme prohibaient absolument les traitements inhumains et dégradants et la torture. Il n’en est rien : une autorité publique peut prendre sciemment la décision d’infliger un traitement inhumain ou dégradant à un étranger pour des considérations d’ordre économique.
Dire qu’un étranger ne bénéficie pas d’un droit aussi élémentaire que celui de recevoir les soins appropriés, c’est lui dénier une partie de son humanité. C’est dire que l’étranger n’est pas un homme comme les autres, n’ayant pas les mêmes droits fondamentaux que les autres. Soumettre le droit absolu de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants à une condition quelle qu’elle soit, c’est aussi entrer dans la même logique que celle de George Bush lorsqu’il justifie la torture. Dans un cas ce sont des considérations économiques qui justifieraient cette violation de la dignité de l’homme, dans l’autre cas ce serait la sécurité des populations civiles. En rendant cette décision à une majorité écrasante, avec l’approbation du juge français, la Cour européenne fait sienne, au mépris des principes les plus essentiels, au mépris de la déclaration universelle des droits de l’homme, cette xénophobie rampante qui dévore l’Europe.
On savait les politiques atteints de cette maladie, voici que les juges les plus prestigieux de notre continent en sont aussi atteints.