Migrants/Délinquants

dimanche 1er octobre 2006, par LDH Arles

Contribution de la LDH (Christian Cabane) au prochain café citoyen de novembre

L’image symbolique de centaines de migrants se jetant
désespérément sur les fils de fer barbelés de Ceuta et
Melilla nous ramène aux moments les plus sombres de
l’histoire de l’Europe. Certes, ces barrières de la honte ne
visent pas à enfermer, mais à repousser. Il n’empêche que :
ce rideau de fer aux portes de l’Europe tombe mal, au
moment où on veut nous vendre une Europe propre sur
elle, libérale, chrétienne et même un peu humaniste.
« Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du
monde » disait l’autre ; mais il ajoutait, et cela avait moins retenu l’attention des médias, que nous devons savoir prendre toute notre part de solidarité face à cette misère.
Il fallait entendre l’incitation faite aux politiques à inventer des solutions, pour permettre aux pays du nord de répondre aux appels à l’aide venus des pays du sud.

L’attraction de l’Europe a toujours été forte pour les Africains. Les raisons en sont multiples : principalement économiques, mais aussi écologiques, culturelles. A partir des années de décolonisation, cette tradition d’immigration a pris la forme coutumière de va et vient. Le migrant, notamment celui d’Afrique de l’ouest, quittait le pays,
encouragé et aidé par la communauté villageoise dans le
but de gagner en Europe de quoi subvenir à quelque besoin de cette communauté. Il revenait un an ou deux plus tard, « auréolé » de son expérience européenne. A ce moment-là, un autre homme partait à l’immigration. Certains voient dans ces pratiques, ces départs « à l’aventure », un rite initiatique. Cela profitait au développement des pays d’origine, notamment dans les zones rurales, par l’envoi de devises qui, même modestes, contribuaient à l’aide des contrées les plus pauvres. Du même coup, l’Europe et la France en particulier en ont profité sans modération. Les entreprises de travaux publics étaient florissantes, notre réseau autoroutier sortait de terre à bon marché, notre modèle d’agriculture intensive, aussi.

En 1974, brutalement, sous les coups combinés de la
crise pétrolière et de l’esprit conservateur et réactionnaire du pouvoir en place, le législateur a cru bon de rompre avec ce système en instaurant une carte de séjour, laquelle a condamné ces Africains à la sédentarisation, à l’exil en France. N’étant plus assurés de pouvoir revenir, ils ont organisé le regroupement familial et le nombre d’étrangers a effectivement augmenté en France à ce moment là. On le voit, les mécanismes de peur et de raidissement ont induit, encore une fois,l’échec d’une tradition longue et fructueuse. Les accords de Schengen en 1989 n’ont fait qu’entériner durablement ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui une Europe forteresse. Pourtant, nous savons bien que le repli sur nous-mêmes dans un continent « assiégé » n’est pas une solution durable. L’imaginaire des hommes en détresse
est tel, qu’aucune mesure coercitive ne peut les arrêter.
Cela reste et restera une réalité permanente de nos sociétés. Aujourd’hui, cette Europe impuissante à maîtriser ces flux migratoires impose aux pays du Maghreb, en échange de viles compensations, de jouer le rôle de policier sur leur propre territoire*. Outre le caractère pervers de cette
exigence, elle contribue à raviver des conflits inter-africains sur un terrain séculairement miné.
Par ailleurs, les analyses les plus sérieuses montrent
clairement que le déclin démographique de l’Europe rend
nécessaire à terme, le recours à une main d’oeuvre étrangère. D’aucuns de nos voisins européens l’ont du reste bien compris et s’y préparent en régularisant plus habilement que nous.

Alors, est-il possible d’élaborer d’autres stratégies ?

Assurément, à partir d’une réelle volonté politique qui
implique à nos états ex-colonisateurs de passer du discours
aux actes. En France et en Europe, d’échapper aux analyses
simplificatrices et aux réponses démagogiques. En Afrique,
d’admettre un certain nombre de réalités :
. les ressources du continent africain appartiennent aux
africains,
. arrêter l’asservissement économique que nous leur
imposons depuis si longtemps,
. en finir avec le cycle cynique de la dette, imposé par les
organismes financiers internationaux,
. ensuite, accroître de façon substantielle l’aide au
développement pour tenter de diminuer sinon de tarir les
départs vers l’Europe.
Enfin, et la L.D.H.le réclame depuis toujours, d’instaurer la
libre circulation des personnes, inscrite nous le rappelons,
dans la déclaration universelle de 1948.
Après tout, il n’est prouvé nulle part que cela produirait ce fameux appel d’air dont se gargarisent de façon récurrente les conservateurs, démagogues et idéologues du pire.

Christian Cabane

P.-S.

* revue Maghreb-Machkrek n°85, automne 2005 sous la direction d’Ali Bensaad.

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